Auteur: Eric Vuillard
Editeur: Actes Sud – 2017 (160 pages)
Prix Goncourt 2017
Lu en novembre 2025
Mon avis: 20 février 1933, au Reichstag à Berlin. Les 24 principaux capitaines de l’industrie et de la finance allemandes sont réunis par Göring qui les invite à contribuer généreusement à la campagne électorale du parti nazi. Tous signeront des chèques à 5 chiffres minimum.
Novembre 1937 – mars 1938. L’auteur détaille les événements successifs qui aboutiront à l’Anschluss et l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie.
Le lien entre la réunion de 1933 et l’Anschluss ? L’auteur ne précise pas si, selon lui, il y en a un et provoque ainsi la perplexité du lecteur, qui se demande s’il faut ou pas établir un rapport entre ces deux séquences.
Voilà pour le contenu de ce bouquin. C’est court, mais le livre l’est aussi. Ni essai historique ni fiction, mais plutôt exposé de la vision acerbe de l’auteur sur les événements précités.
Je m’étendrai davantage sur la forme, qui ne m’a pas plu (non plus).
Avec le ton ironique qu’il emploie, on comprend vite qu’Eric Vuillard entend ridiculiser les protagonistes de l’époque, parce que (au choix) ils n’ont rien vu venir, rien compris, pas osé, agi ou laissé faire par opportunisme mercantile ou politique, cynisme ou hypocrisie.
Oui certes, rien de nouveau sous le soleil, même si je n’avais pas connaissance de tous ces détails. Oui, bien sûr, ces agissements n’ont rien d’honorable et ils portent une responsabilité immense dans la suite des événements.
Mais justement, cette suite, ces événements (càd notamment la 2ème Guerre et la Shoah), étaient-ils imaginables dès 1933 ? Et surtout, qu’aurions-nous fait, ou nos dirigeants actuels, si nous avions été à leur place, dans les mêmes circonstances, avec les mêmes connaissances ?
A nouveau, je ne veux rien minimiser, mais tout de même, c’est tellement facile (et intellectuellement malhonnête) d’arriver 80 ans après les faits avec des « y a qu’à », de refaire l’Histoire et de sous-entendre qu’Hitler aurait pu être stoppé, de porter un regard condescendant et moralisateur sur cette période de l’Histoire aussi tragique que complexe, et le tout en 160 pages, sans être historien, économiste ou politologue.
Ce passage m’a laissée songeuse : « Ils [les 24 pontes de la réunion de 1933] sont là, parmi nous, entre nous. Ils sont nos voitures, nos machines à laver, nos produits d’entretien, nos radios-réveil, l’assurance de notre maison, la pile de notre montre. Ils sont là partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur. » Qu’est-ce qu’Eric Vuillard essaie de dire ? Est-ce un appel au boycott de toutes ces marques ? Une tentative de culpabilisation ? Ceux/celles parmi nous qui roulent en Opel, lavent leur linge en Siemens ou s’assurent chez Allianz sont-ils responsables d’Auschwitz ? Quel est le propos ?
Et non seulement l’auteur méprise ses personnages en les rendant grotesques, mais sa façon d’écrire me laisse avec la sensation qu’il se moque aussi du lecteur. Les phrases inutilement sophistiquées, les mots érudits, le name-dropping, les allusions à des faits historiques sans mise en contexte sont balancés au lecteur comme pour lui faire ressentir que sa modeste culture est loin d’être à la hauteur de celle d’Eric Vuillard.
L’écriture manque de fluidité et de liant, l’auteur s’attarde sur des anecdotes et des détails (les costumes nazis dans les studios d’Hollywood, quel intérêt?), et il force tellement sur le sarcasme qu’il dessert son propos (quel qu’il soit).
Etait-ce là le meilleur livre de la sélection du Goncourt 2017 ?
Présentation par l’éditeur:
Ils étaient vingt-quatre, près des arbres morts de la rive, vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pinces avec un large ourlet. Les ombres pénétrèrent le grand vestibule du palais du président de l’Assemblée ; mais bientôt, il n’y aura plus d’Assemblée, il n’y aura plus de président, et, dans quelques années, il n’y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants.

