Auteur: Annie Ernaux
Editeur: Folio – 1986 (113 pages)
Prix Renaudot 1984
Lu en septembre 2013
Mon avis: « Depuis peu, je sais que le roman est impossible. Pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité, je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art, ni de chercher à faire quelque chose de « passionnant » ou d’ « émouvant ». Je rassemblerai les paroles, les gestes, les goûts de mon père, les faits marquants de sa vie, tous les signes objectifs d’une existence que j’ai aussi partagée ».
Dans ce court récit, Annie Ernaux raconte donc l’histoire de son père, né dans une famille paysanne en Normandie, garçon de ferme devenu ouvrier puis petit commerçant. Ses paroles, ses gestes, ses goûts sont ceux de sa « classe sociale », fruste, peu cultivée (« les livres, la musique, c’est bon pour toi. Moi je n’en ai pas besoin pour vivre »). A la force du poignet, il s’élèvera peu à peu à un niveau intermédiaire « entre le petit ouvrier qu’il était au départ et le petit-bourgeois qu’il ne sera jamais ». Malgré l’aisance financière acquise, il conservera toujours un sentiment d’infériorité mêlé de mépris à l’égard des « gens bien », qui parlent « bien », se tiennent « comme il faut », savent « ce qui est bien » et « ce qui ne se fait pas ».
Gêné par son éducation simple, maladroit, il met parfois involontairement sa fille dans des situations embarrassantes voire humiliantes. Le fossé de la communication entre ses parents et elle grandit d’autant plus qu’Annie Ernaux devient universitaire, poussée par ceux-ci à « faire des études » pour qu’elle devienne « mieux qu’eux ».
Mieux qu’eux, donc différente d’eux, d’où le dilemme impossible à résoudre : comment réussir sa vie au sens où l’entendent ses parents et donc prendre l’ascenseur social, sans renier pour autant ses origines et sa dette envers ceux à qui elle doit la vie et ce qu’elle est ?*
C’est pour expliquer cette distance qu’elle prend la plume, sans fioritures : « Aucune poésie du souvenir, pas de dérision jubilante. L’écriture plate me vient naturellement ».
De fait, le style est dépouillé, sobre, pudique. Certains diront qu’il est parfois cru, distant. Je crois que cette froideur apparente est une carapace de protection pour Annie Ernaux, qui y cache ses blessures, ou sa subjectivité. Ca n’empêche pas l’amour et les émotions d’affleurer, au contraire…
* L’oeuvre d’Annie Ernaux a été analysée par le sociologue Vincent de Gaulejac dans La névrose de classe.
Présentation par l’éditeur:
« Enfant, quand je m’efforçais de m’exprimer dans un langage châtié, j’avais l’impression de me jeter dans le vide.
Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m’aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.
Puisque la maîtresse me « reprenait », plus tard j’ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que « se parterrer » ou « quart moins d’onze heures » n’existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois : « Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps ! » Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancœur et de chicanes douloureuses, bien plus que l’argent. »
Je l’ai découverte dans les manuels scolaires. J’ai lu moi aussi ce roman et j’ai vraiment aimé.
Il me donne envie d’en lire d’autres de cette auteure.
Une auteure qui ne m’a pas touchée et qui, pour moi, écrit toujours la même histoire…