Auteur: Javier Sebastián
Editeur: Métailié – 2013 (208 pages)/Suites – 2025 (224 pages)
Lu en septembre 2025
Mon avis: Dans un self-service des Champs-Elysées, un vieil homme hagard est affalé à une table. Apparemment abandonné, il est recueilli par le Samu Social puis, à la suite d’un malentendu burlesque, est confié aux bons soins du narrateur, fonctionnaire espagnol de passage à Paris. D’abord mutique, le vieil homme va peu à peu lui révéler son histoire.
Ce récit alterne avec celui de la vie post-apocalyptique de quelques habitants de Pripiat, petite ville à 3 kilomètres de la centrale de Tchernobyl.
Evacuée après la catastrophe de 1986, située dans la zone interdite, la ville fantôme n’est pas si déserte que cela : certains habitants y sont revenus, faute d’autre endroit où s’installer durablement. Il y a aussi Vassia (ou Vassili), physicien nucléaire biélorusse, qui s’est réfugié bien malgré lui à Pripiat.
Dans cet environnement toxique, entre une grand-roue et des autos tamponneuses, Vassia et les autres essaient tant bien que mal d’organiser leur petite communauté, s’accrochant à la vie envers et contre tout, même si vivre dans cet endroit est synonyme d’une mort quasi certaine à plus ou moins court terme. Malgré des conditions de survie dantesques, la petite communauté de Pripiat, théâtre de scènes absurdes, surréalistes, déchirantes, n’est pas prête à renoncer à l’amitié, l’amour, l’humanité.
Ce livre est librement inspiré de la vie de Vassili Nesterenko, physicien nucléaire pourchassé par le KGB pour avoir dénoncé haut et fort la campagne de désinformation menée par les autorités soviétiques dans le but de taire les causes et de minimiser les conséquences gravissimes sur la santé humaine de la catastrophe de Tchernobyl.
A la fois biographie romancée, document et bousculade littéraire, ce récit parle d’incompétences techniques (la construction d’une centrale nucléaire sur une faille sismique) et d’inconséquences et lâchetés politiques (la désinformation pour masquer l’incapacité du régime à réagir au cataclysme, quitte à causer la mort de milliers de personnes supplémentaires). Il parle aussi de résistance, de vérité scientifique vs intérêts politiques, d’invisibilisation des victimes.
Au début, la construction du récit apparaît chaotique, mais la force de l’histoire transcende rapidement cet inconvénient, et on ne peut qu’être pris de la plus grande compassion pour toutes les victimes de ce gâchis d’autant plus ignoble qu’il aurait, au moins en partie, pu être évité.
Un roman engagé et profondément humaniste, éclairant, attachant et révoltant.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Présentation par l’éditeur:
Un vieil homme hagard, entouré de sacs remplis de vêtements, est abandonné dans un self-service sur les Champs-Élysées. « Ne les laissez pas me tuer », c’est tout ce qu’il sait dire.
Pripiat, ville fantôme, à trois kilomètres de la centrale de Tchernobyl : dans les rues désertes, entre la grande roue neuve et les autos tamponneuses abandonnées, pas âme qui vive. Sauf les samosiol, ceux qui sont revenus dans la zone interdite. Laurenti Bakhtiarov chante Demis Roussos devant la salle vide du ciné-théâtre Prometheus, deux Américains givrés testent les effets de la radioactivité sur leur corps… Au cœur d’une apocalypse permanente, Vassia, l’homme à vélo, croit encore à la possibilité d’une communauté humaine.
Ce roman magistral est librement inspiré de la vie de Vassili Nesterenko, physicien spécialiste du nucléaire, devenu l’homme à abattre pour le KGB pour avoir tenté de contrer la désinformation systématique autour de Tchernobyl.
Des paysages hallucinés aux aberrations du système soviétique, Sebastián signe un texte d’une force rare, à la fois glaçant et étrangement beau, hymne à la résistance dans un monde dévasté.
Une citation:
– Et il lui avait dit que le nouveau système avec lequel on prenait des mesures sur les aliments et non plus directement sur les corps irradiés était une escroquerie sanitaire. Ainsi, en 1992, sur les trois mille villages touchés par la catastrophe, un tiers dépassait la limite autorisée de 1 mSv par an et par personne, et six ans plus tard, avec le nouveau système, qui excluait l’usage de spectromètres sur les gens, les autorités obtenaient les données qu’elles souhaitaient. On ne parlait plus que de deux cents villages, passant ainsi de deux millions d’individus contaminés à cinquante mille. Vous voyez bien! disaient les fonctionnaires du ministère de la Santé. Vous pouvez rentrer chez vous, n’écoutez pas les oiseaux de mauvais augure.