jeudi , 28 mars 2024

Les fureurs invisibles du coeur

Auteur: John Boyne

Editeur: JC Lattès – 22 août 2018 (580 pages)

Lu en juillet 2018

Mon avis: ♫ Un oranger, sur le sol irlandais / On ne le verra jamais…

Et un homosexuel heureux, sur le sol irlandais, le verra-t-on un jour ? C’est ce qu’on se demande tout au long de ce roman, qui nous raconte l’histoire de Cyril et de ses errements et, à travers elle, celle de son pays, l’Irlande, entre 1945 et 2015.
La mère de Cyril a 16 ans quand elle se retrouve enceinte. Lorsque son secret est découvert, le curé de la paroisse la bannit de son village coincé au plus profond de la campagne de la très catholique et non moins très hypocrite Irlande. Se réfugiant à Dublin, seule et sans le sou, la mère de Cyril ne se laisse pas abattre mais prend, à regret, la décision de confier son nouveau-né à l’adoption, pour lui assurer une vie plus confortable que celle qu’elle-même pourra jamais lui offrir. Cyril est ainsi adopté par les Avery, un couple riche et extravagant, qui ne cesse de lui répéter qu’il n’est pas, et ne sera jamais, « un vrai Avery ». Le petit garçon grandit dans l’aisance matérielle mais sans beaucoup de chaleur humaine. Son seul repère, son phare brillant dans ces années grises, s’appelle Julian. Du même âge, les deux garçons sont les meilleurs amis du monde tout au long de l’adolescence. Cyril mettra du temps à comprendre qu’il est en réalité amoureux de Julian, et donc, homosexuel. Ce qui, dans l’Irlande des années 60, est considéré comme une maladie et un crime. Dans ces conditions, Cyril ne peut que se terrer au fond de son placard. Jeune homme bien sous tous rapports le jour, il multiplie les rencontres furtives et anonymes la nuit, sans trouver nulle part l’affection qu’il cherche depuis toujours. Honteux de ce qu’il est, il tente aussi des relations avec des femmes. De questionnements en mensonges et révélations qui précipitent un désastre, il quitte le pays, trouve l’apaisement à Amsterdam puis à New York avant que de nouveaux drames ne le frappent et qu’il revienne en Irlande à l’aube des années 90, à la rencontre de son passé.
Onze chapitres qui, par tranches de sept ans, nous font suivre Cyril au (mal) gré de sa quête d’identité et de bonheur. Entre l’homophobie dans une Irlande dominée (gangrenée) par des prêtres dogmatiques et la haine « ordinaire » des gens « bien-pensants » et « normaux » qui accusent les gays de propager le virus du sida, il est délicat de s’assumer. En 2015, Cyril connaîtra la légalisation du mariage homosexuel en Irlande, et malgré le soulagement de vivre enfin dans une époque plus tolérante, il conserve l’amertume et les regrets éternels d’être né beaucoup trop tôt et d’avoir passé (perdu) une vie à se chercher. On a mal au cœur pour ce personnage complexe, à la fois faible et résilient, égaré dans les non-dits, les malentendus et les faux-semblants. Le roman met aussi en évidence le sort peu enviable des femmes, en particulier des filles-mères, dans ce pays qui n’autorise le divorce que depuis 1995, et dans lequel la légalisation de l’avortement a été approuvée par référendum il y a à peine trois mois (oui, en 2018). Même s’il y a des moments très drôles, avec des dialogues hilarants de vachardise (la palme aux parents adoptifs de Cyril), les sentiments qui dominent à la lecture sont la mélancolie et la tristesse, et la révolte devant la bêtise humaine et les tartuferies de cette Eglise catholique et des politiciens à sa botte.
« Les fureurs invisibles du cœur » est un roman-fleuve, un peu long mais pas tranquille, avec quelques stéréotypes et un peu trop de coïncidences, mais l’écriture est belle et l’histoire émouvante. Un de ces livres dont on tourne à regret la dernière page.

En partenariat avec les éditions JC Lattès, via Netgalley.

Présentation par l’éditeur:

Cyril Avery n’est pas un vrai Avery et il ne le sera jamais – ou du moins, c’est ce que lui répètent ses parents adoptifs. Mais s’il n’est pas un vrai Avery, qui est-il ?
Né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif d’un couple dublinois aisé et excentrique par l’entremise d’une nonne rédemptoriste bossue, Cyril dérive dans la vie, avec pour seul et précaire ancrage son indéfectible amitié pour le jeune Julian Woodbead, un garçon infiniment plus fascinant et dangereux.
Balloté par le destin et les coïncidences, Cyril passera toute sa vie à chercher qui il est et d’où il vient – et pendant près de trois quarts de siècle, il va se débattre dans la quête de son identité, de sa famille, de son pays et bien plus encore. 

Dans cette oeuvre sublime, John Boyne fait revivre l’histoire de l’Irlande des années 1940 à nos jours à travers les yeux de son héros. Les Fureurs invisibles du cœur est un roman qui nous fait rire et pleurer, et nous rappelle le pouvoir de rédemption de l’âme humaine.

Quelques citations:

[dialogue entre Cyril et Julian, 7 ans]:
Tu veux dire que tes parents ne dorment pas ensemble?
– Oh non, dis-je. Les tiens, si?
– Bien sûr.
– Mais pourquoi? Vous n’avez pas assez de chambres?

[Cyril, 7 ans, à Maude, sa mère adoptive, auteure de 6 romans]:
– Avez-vous beaucoup de lecteurs?
– Oh non. Dieu m’en préserve. Il y a quelque chose de terriblement vulgaire dans les livres qui ont du succès, tu ne trouves pas?
– Je ne sais pas. Je ne lis pas beaucoup, malheureusement.
– Moi non plus, répondit Maude. Je ne me rappelle pas le dernier roman que j’ai lu. Ils sont tous tellement ennuyeux, et les écrivains s’épanchent indéfiniment […].
« Pourquoi ne voulez-vous pas que les gens lisent vos livres, Maude? me lançai-je, une question que je ne lui avais jamais posée.
– Pour la même raison que je n’entre pas chez des étrangers pour leur dire combien j’ai fait de selles depuis le petit déjeuner. Ça ne les regarde pas.
– Alors, pourquoi les publiez-vous?
– Il faut bien faire quelque chose, Cyril, non? dit-elle en haussant les épaules. Autrement, ça ne sert à rien de les écrire. »

– Je suis beau et puissant, et dans cette ville j’ai une réputation tout à fait méritée d’amant formidable. Les femmes apprécient ce genre de choses.
– Ce que vous savez des femmes pourrait être recopié en grands caractères au dos d’un timbre-poste et il resterait encore de la place pour le Notre Père. Malgré toute votre activité de séduction et de flirt, toutes les grues, putains, petites amies et épouses, vous n’avez vraiment rien appris sur nous, depuis le temps.
– Et qu’y a-t-il à apprendre? s’enquit-il […]. Ce n’est pas comme si nous parlions de créatures particulièrement complexes. Contrairement aux dauphins, par exemple. Ou aux saint-bernard.

L’Irlande est épouvantablement rétrograde, dirigée par des curés malveillants, malintentionnés et sadiques, et le gouvernement est aussi asservi par le pouvoir religieux qu’un chien mené au bout d’une laisse. 

Evaluation :

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2 commentaires

  1. J’aime beaucoup les romans sur l’Irlande, un pays fascinant par son statut îlien et par ses us et coutumes plutôt rétrogrades mais en développement…