Auteur: Ander Izagirre
Editeur: Editions Baromètre – 1er mars 2022 (240 pages)
Lu en juillet 2022
Mon avis: Parmi les nombreux enfers qui existent sur Terre, il en est un qui se situe à Potosí, Bolivie. A plus de 4000m d’altitude, cette ville se trouve au pied du Cerro Rico (le Mont Riche), une montagne riche en filons d’argent et d’étain, exploitée depuis la colonisation espagnole au 16ème siècle. Une richesse qui n’a jamais profité directement aux mineurs, lesquels travaillent dans des conditions de salaire, de sécurité et d’hygiène effroyables, pas très différentes de ce qu’elles étaient cinq siècles plus tôt, et pas très éloignées de l’esclavage. Les ressources de la montagne ont en réalité profité à l’Espagne d’abord, puis un peu à l’Etat bolivien lors des épisodes de nationalisation, mais surtout aux multinationales étrangères une fois laissé le champ libre à la privatisation. Elles profitent aussi aux coopératives minières locales, aux méthodes mafieuses, et qui engraissent leurs cadres dirigeants en faisant pression de manière scandaleuse sur les travailleurs pour mater la moindre tentative de protestation.
Les conditions sont épouvantables pour les mineurs mais, encore plus à plaindre, il y a les femmes et les enfants, parfois contraints de travailler gratuitement pour solder une dette que leurs parents ont contracté vis-à-vis de la coopérative. Parmi ces enfants, Ander Izagirre a choisi de suivre Alicia, qui a commencé à la mine à 14 ans, pour aider sa mère veuve et nourrir sa petite sœur. Aux dangers inhérents au travail dans des galeries insalubres et mal entretenues qui risquent de s’effondrer à tout moment, il faut encore ajouter (comme si ce n’était pas suffisant), les violences à l’égard des femmes et des filles, victimes d’agressions ou de viols commis par les mineurs en toute impunité, dans un milieu où le machisme a encore de beaux jours devant lui.
« Potosí » n’est pas seulement un reportage sur les conditions de vie précaires des mineurs du Cerro Rico, c’est aussi une enquête qui remonte l’histoire à partir de la découverte du précieux filon au 16ème siècle, à la recherche des origines de ces conditions. Brutalité des colons, incurie des gouvernements successifs, corruption, dérégulation sauvage, course au profit, manipulation des cours de bourse des métaux, enjeux politico-économiques et sociaux (sans parler de l’environnement) de l’exploitation des ressources naturelles d’un pays qui en fin de compte ne tire aucun profit de ses propres richesses, alcoolisme, violences, silicose, refus de l’interdiction du travail des enfants… par les enfants eux-mêmes (qui voient dans leurs quelques pesos de salaire le moyen de ne pas crever de faim), le récit que livre Ander Izagirre est bouleversant, choquant, rageant. Ce texte est nécessaire, mais sera-t-il utile pour autant : « Moi aussi je m’en vais de Bolivie, emportant tout ce que j’ai pu – le temps, la connaissance et l’intimité de certaines personnes : la matière première pour écrire un livre. Mais je doute que celui-ci serve à quelque chose. La Bolivie c’est aussi, depuis des décennies, un de ces pays exportateurs d’histoires sensationnelles : journalistes, écrivains, cinéastes, photographes, anthropologues et conteurs d’histoires, nous venons chercher des histoires de misère et de violence qui, ensuite chez nous, nous feront beaucoup briller mais sont rarement utiles aux protagonistes ». C’est paradoxal, mais c’est une tout autre question.
En partenariat avec les Editions Baromètre.
Présentation par l’éditeur:
Le Cerro Rico, au pied de la ville de Potosí, est une montagne riche en argent et en étain. Ander Izagirre s’y est rendu pour enquêter sur les conditions de vie abominables des hommes, des femmes et des enfants qui exploitent ces gisements. Parmi les nombreux témoignages recueillis, celui d’Alicia est au premier plan. Travaillant depuis l’âge de 12 ans, cette jeune fille illustre à la fois le sort de ceux dont la subsistance dépend irrémédiablement de l’activité minière, mais également l’esprit de résilience qui anime certains habitants de Potosí, non résignés à se faire avaler par « la montagne qui dévore les hommes » – comme on surnomme le Cerro Rico.
Ander Izagirre ne se contente pas de dépeindre la situation précaire des mineurs et de leur entourage. Il cherche aussi à comprendre ses origines. Son enquête, enrichie de nombreux retours historiques, relate les principales étapes de l’exploitation des mines en Bolivie : des conséquences de la colonisation espagnole, apparues dès le XVIe siècle, jusqu’à la prolifération des coopératives minières d’aujourd’hui en passant par le soulèvement avorté de Che Guevara. Cet éclairage permet de saisir l’importance des enjeux politiques, sociaux et économiques que constitue l’extraction des ressources naturelles pour beaucoup de Boliviens.