Auteure: Djaimilia Pereira de Almeida
Editeur: Viviane Hamy Editions – 10 janvier 2024 (368 pages)
Lu en décembre 2023
Mon avis: Trois histoires, trois époques, trois hommes, un même effacement.
Dans « La vision des plantes », Celestino, ancien capitaine d’un navire négrier, revient dans sa maison natale délabrée. Après une vie de violences cruelles commises sur les esclaves noirs qu’il transportait dans les cales de son bateau, il n’aspire plus qu’à soigner son jardin laissé à l’abandon toutes ces années. La compagnie des fleurs est la seule qu’il tolère, parce que les fleurs, elles, ne le jugent pas. Pourtant il n’éprouve aucune culpabilité quant à sa vie passée, n’a ni remords ni regrets, ne ressent rient, se contrefiche de ce que pensent ses voisins, ne cherche ni pardon ni rédemption.
Dans « Raz-de-marée », Boa Morte, un Angolais qui a combattu dans le camp du Portugal lors de la guerre coloniale, s’est exilé à Lisbonne. Mais sa loyauté envers l’ex-Mère Patrie est loin d’avoir été récompensée. Boa Morte a tout juste un toit sur la tête, et c’est à peu près tout. Pour gagner quelques euros, il travaille dans la rue, aidant les automobilistes à trouver une place de stationnement. Il a malgré tout quelques amis, tout autant crève-misère que lui. Parmi eux, Fatinha, épave humaine dont l’esprit bat la campagne la plupart du temps. Elle a l’âge d’être sa fille, alors Boa Morte lui tient compagnie, la protège. Quant à sa vraie fille, restée en Afrique, il ne la reverra sans doute jamais, ni ne lui enverra les lettres qu’il lui écrit tous les jours.
« Brume » raconte la vie (ou la non-vie) de Brume, esclave brésilien « expédié dans le Nord [du Portugal] comme on expédie une lettre » par ses maîtres, pour y travailler dans l’une de leurs propriétés. La vie a fait un seul cadeau à Brume et à son « désespoir d’être un valet en deuil d’une liberté qu’il n’avait jamais connue » : il a appris à lire. Et tout au long de sa vie (sa non-vie), la lecture sera pour lui un refuge, une cabane secrète au fond des bois, l’endroit au monde où il se sentira libre.
Trois histoires d’oubli, pour ne plus se souvenir du passé et des atrocités qu’on a commises ou subies ou pour se libérer du jugement d’autrui, d’une vie de misère et de servitude, en s’évadant dans le jardinage, l’écriture ou la lecture.
Trois histoires d’hommes oubliés, ou sur le point de l’être, ou qui n’ont jamais occupé la mémoire de personne.
Parmi ces trois histoires d’oubli, j’en retiens une : « Raz-de-marée ». Dans les deux autres, j’ai trouvé que la langue était belle, certes, mais inutilement chaotique, se perdant en circonvolutions répétitives entre passé et présent, en phrases confuses et décousues. L’écriture de « Raz-de-marée » est beaucoup plus fluide, le fil narratif bien plus lisible, les personnages beaucoup plus et mieux incarnés ; on ne peut qu’être ému par leur triste sort et par l’histoire d’amitié entre Boa Morte et Fatinha.
En partenariat avec les Editions Viviane Hamy.
Présentation par l’éditeur:
Avec ces Trois histoires d’oubli, Djaimilia Pereira de Almeida, en digne admiratrice du Flaubert des Trois contes, traverse les époques, du XIXᵉ siècle à nos jours, pour imaginer des personnages qui essayent chacun, tant bien que mal, de façonner leur destin.
Dans La Vision des plantes, le capitaine Celestino revient au pays au terme d’une vie passée sur les mers ; cet ancien trafiquant d’esclaves sans remords entend bien finir ses jours « comme un saint », à prendre soin des oeillets de son jardin. Dans Raz-de-marée, on lit la douloureuse confession de Boa Morte, un immigré angolais qui a combattu aux côtés des Portugais durant la guerre coloniale, désormais condamné, pour glaner quelques pièces, à aider les automobilistes de Lisbonne à trouver une place de stationnement. Enfin, Brume raconte les souffrances et les ruses d’un esclave brésilien, cherchant avidement dans la lecture et la nature une échappatoire à sa vie de servitude.
Dans une langue somptueuse, poétique et ouverte au mystère, Djaimilia Pereira de Almeida s’interroge, par la seule fiction, sur le poids du passé dans nos existences, le regard de l’autre, l’identité, l’asservissement, pour mieux célébrer notre soif d’émancipation et notre irrépressible quête de liberté.