Auteur: Daniel Pennac
Editeur: Folio – 1997 (286 pages)
Lu en novembre 2019
Mon avis: Cher Benjamin Malaussène,
Il y a bien longtemps que je ne vous avais pas écrit. Quelques infidélités livresques à droite à gauche mais, vous voyez, on revient toujours à ses premières (ou presque) amours. Et cette fois j’ai décidé de prendre les choses dans l’ordre : j’ai enfin lu le premier volume de votre saga familiale bellevilloise. Après La Fée Carabine, La petite marchande de prose et Monsieur Malaussène, je me suis plongée dans la genèse de votre généalogie littéraire, là où tout a commencé : au Grand Magasin. Si j’ai bien compris, il ne s’agissait pas de votre premier emploi, mais c’est bien là qu’a démarré votre pétaradante carrière (que dis-je, votre vocation) de Bouc Émissaire. Convoqué vingt fois par jour au Bureau des Réclamations, vous êtes chargé de pleurnicher avec réalisme pour apitoyer les clients plaintivo-réclamants et faire en sorte qu’ils renoncent à leurs doléances sonnantes et trébuchantes. Pas très glorieux mais efficace, vous êtes passé maître ès compassion clientèlesque. Mais de doléance à condoléance, il y a un « con » qui vous joue un sale tour : une bombe explose au rayon jouets, un mort. Quelques jours plus tard, une deuxième au rayon shetland, un autre mort. Puis une troisième, une quatrième, avec chaque fois un macchabée à la clé. Et qui est accusé ? Je vous laisse deviner. Et comme si votre vie professionnelle ne vous la compliquait pas assez, votre vie, vous devez encore gérer (« éduquer », dans la version optimiste ; « étrangler », les jours où vous êtes tenté de glisser du côté obscur de la force) votre tribu de demis-frères et sœurs cadets (mais quel est donc ce paradoxe de vous prénommer Benjamin alors que vous êtes l’aîné…), depuis que votre mère à tous est partie « se reposer » au bras d’un sieur Robert, probable futur père du prochain rejeton Malaussène. Sans compter la crise d’épilepsie de Julius le chien et votre relation tout aussi spasmodique mais pas incestueuse avec « tante Julia », la rousse lionne. Et donc j’ai trouvé dans ce premier volume des annales malausséniennes la plupart des ingrédients des histoires futures : crimes horribles, mésaventures loufoques, fratrie remuante, Belleville bigarrée, lexique inventif et truculent, amour, tendresse et catastrophes invraisemblables. Un bonheur de vous retrouver, ou plutôt de découvrir vos origines (un peu comme on s’attendrit sur les photos d’enfance de son amoureux scotchées jaunies dans les albums de belle-maman), mais un (tout petit) bémol quand même : pour cette première rencontre, je vous ai trouvé un peu lésineur sur le baroque burlesque et le pittoresque bellevillois, la faute sans doute à trop de bombes dans cette histoire pour y ajouter encore des feux artificiers. Et c’est là que, paradoxalement, je suis heureuse d’avoir fait votre connaissance alors que vous aviez un peu maturé et que vous ne craigniez plus de vous lâcher toute exubérance dehors. Malgré cela, je me répète, mais sachez que je vous aime, cher Benjamin, et que vous lire est toujours un grand moment de bonheur (n’en déplaise aux ogres). Et quoi qu’en dise tante Julia, il me tarde de vous retrouver dans cet épisode au titre prometteur « Aux fruits de la passion » pour d’autres aventures hautes en couleurs.
Malaussènement vôtre (si je puis me permettre – j’aurais adoré être de la famille),
S.
Présentation par l’éditeur:
Côté famille, maman s’est tirée une fois de plus en m’abandonnant les mômes, et le Petit s’est mis à rêver d’ogres Noël.
Côté cœur, tante Julia a été séduite par ma nature de bouc (de bouc émissaire).
Côté boulot, la première bombe a explosé au rayon des jouets, cinq minutes après mon passage. La deuxième, quinze jours plus tard, au rayon des pulls, sous mes yeux. Comme j’étais là aussi pour l’explosion de la troisième, ils m’ont tous soupçonné.
Pourquoi moi?
Je dois avoir un don…