jeudi , 21 novembre 2024

Condamnée à l’exil

Auteurs: Sayragul Sauytbay et Alexandra Cavelius

Editeur: Editions Hugo Doc – 2021 (333 pages)

Lu en juillet 2021

Mon avis: L’enfer sur Terre existe et il se trouve au Xinjiang, province du nord-ouest de la Chine.

C’est ce que l’on découvre en lisant le récit de Sayragul Sauytbay, écrit avec la journaliste allemande Alexandra Cavelius.

Sayragul est née autour de 1977, dans un district autonome kazakh du Xinjiang, au sein d’une famille d’origine kazakhe, musulmane et turcophone, encore semi-nomade à l’époque. Elle grandit dans une famille aimante, dans des conditions matérielles relativement confortables et dans le respect des traditions et de la culture kazakhes. Mais le gouvernement de Pékin, qui apprécie peu la diversité ethnico-culturo-religieuse, voudrait siniser ces régions à minorités kazakhe et ouïghoure. Faut-il préciser, l’air de rien, que le sous-sol du Xinjiang est riche en ressources minières et que cette province occupe en outre une position géostratégique enviable sur les nouvelles routes de la Soie ?

Dans les années 90, les autorités de Pékin et le Parti Communiste Chinois (PCC) entreprennent donc de coloniser la région : troupes militaires, ouvriers pour les nouvelles usines, commerçants Han déboulent. Le ton est de moins en moins pacifique et les libertés des minorités de plus en plus restreintes, mais à l’époque, Sayragul parvient encore à étudier la médecine, malgré un apartheid de plus en plus prononcé. Après avoir exercé quelques années dans un hôpital, elle rentre dans sa ville natale pour pouvoir s’occuper de ses parents, et devient directrice d’école maternelle.

Mais la pression sur les minorités s’accentue de manière drastique, la répression se durcit et la réglementation est de plus en plus absurde, vexatoire et liberticide. Les Ouïghours et les Kazakhs sont tous des terroristes qu’il convient de « rééduquer » (euphémisme propagandiste). Le mari et les deux enfants de Sayragul fuient au Kazakhstan voisin, mais elle-même, en tant que fonctionnaire du Parti, se voit confisquer son passeport. Comme elle refuse de faire rentrer sa famille en Chine, elle est bientôt arrêtée et envoyé dans un camp. Elle a la maigre « chance » de ne pas y être traitée comme les autres prisonniers (des morts-vivants), puisqu’elle est réquisitionnée pour leur donner des cours de chinois. Un endoctrinement aux méthodes « pédagogiques » des plus douteuses… De cette position « privilégiée », elle est témoin, et dans une moindre mesure victime (même si à ce degré d’horreur, c’est dans tous les cas inhumain), des traitements épouvantables infligés aux prisonniers, dignes des camps nazis et de tous leurs avatars à travers l’Histoire.

Contre toute attente, Sayragul est relâchée après quelques mois. Elle en profite pour passer au Kazakhstan, illégalement, et parvient à y rejoindre sa famille. Elle n’est pourtant pas au bout de ses peines : Pékin a le bras long et de l’argent en quantité, et tient le Kazakhstan, largement endetté, sous sa coupe financière. Sayragul est arrêtée pour être entrée illégalement dans le pays. Une condamnation signifierait son renvoi illico en Chine, et une mort certaine. Heureusement pour elle, des ONG de protection des droits humains s’en mêlent et organisent un battage médiatique sans précédent, tandis que les réseaux sociaux relaient les protestations à l’échelle de la planète. Sayragul, désormais lanceuse d’alerte, utilise son procès comme une tribune où elle dénonce la politique génocidaire chinoise. Elle sera finalement condamnée à une amende symbolique et libérée. Devant le refus du Kazakhstan de lui accorder l’asile, elle est accueillie avec sa famille en Suède, qui leur octroie un statut de réfugié. Elle n’est pas totalement rassurée pour autant, et les menaces téléphoniques anonymes qu’elle reçoit depuis la parution de ce livre semblent confirmer que la Chine ne l’oubliera pas…

Ce que raconte Sayragul dans ce livre est un pur cauchemar, et cette lecture est par moments à la limite du soutenable. Cela se passe loin de chez nous, mais la mise en garde finale est glaçante, tant la volonté de la Chine de gouverner le monde, par l’argent d’abord, par la pensée ensuite, est grande et à peine voilée : « Le coronavirus finira pas battre en retraite, la situation reviendra progressivement à la normale, mais le virus de la pensée chinoise contre un monde libre sera encore présent. J’espère que, partout sur la planète, les populations prendront conscience du danger que le PCC et le gouvernement de Pékin représentent, pour les Chinois eux-mêmes comme pour les citoyens de ce monde. Ce « virus de la pensée » est bien plus dangereux que le coronavirus. C’est un enfer« .

Présentation par l’éditeur:

Sayragul Sauytbay est une survivante. Née en 1977 dans le district autonome kazakh d’Ili, dans la province chinoise du Xinjiang, médecin de formation, elle a d’abord travaillé dans un hôpital, puis a été recrutée par l’Etat chinois comme directrice de plusieurs écoles maternelles. Lorsque le gouvernement chinois prend des mesures massives contre les minorités ouïgoures et kazakhes, son mari et ses enfants partent trouver refuge au Kazakhstan. Elle-même ne peut pas obtenir de visa de sortie, pire, elle est interrogée à plusieurs reprises. Refusant de rapatrier sa famille, Sayragul Sauytbay est arrêtée et internée dans l’un des mille deux cents « camps de rééducation » dressés un peu partout dans l’Ouest de la Chine, destinés à inféoder les minorités turcophones et musulmanes au pouvoir central chinois. 

Les horreurs qu’elle a vécues et dont elle fut témoin – privations, endoctrinement, tortures, viols – la poussent à fuir pour alerter le monde sur ce génocide en cours, avec force, courage et détermination. 

Evaluation :

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