Auteure: Safiya Sinclair
Editeur: Buuchet-Chastel – 22 août 2024 (528 pages)
Lu en août 2024
Mon avis: Née à Montego Bay en Jamaïque, Safiya Sinclair a été élevée dans le respect des préceptes du rastafarisme. Les adeptes de ce mouvement politique et religieux, apparu dans les années 30 en Jamaïque, vouent un culte à l’ancien empereur éthiopien Haïlé Sélassié, considéré comme le nouveau messie venu délivrer les Noirs de l’oppression de l’odieuse Babylone occidentale, impérialiste et esclavagiste. Parmi les divers principes respectés par les rastas (mais chaque croyant les applique selon une géométrie variable et personnelle) figurent : un régime végétalien, l’interdiction de boire de l’alcool et de fumer (sauf la « ganja », càd la marijuana), l’obligation de porter des dreadlocks et, pour les femmes, l’interdiction de porter des pantalons, du vernis à ongles,… et plus globalement l’interdiction d’exister pour soi-même.
Safiya, son frère et ses deux sœurs se voient imposer ces règles drastiques par leur père, de plus en plus radical au fil du temps, qui veut les protéger de l’emprise de Babylone. Et plus Safiya grandit et approche de l’adolescence, plus l’étau de cette pression terrifiante se referme sur elle. Mais la jeune fille est trop intelligente et curieuse pour ne pas se rebeller. Avec le soutien discret mais infaillible de sa mère et le secours de la poésie et de la littérature, elle trouvera son chemin vers la liberté.
Clairement, Safiya Sinclair avait besoin d’écrire ce livre, pour achever de se libérer de l’emprise de son père en se débarrassant à coup de mots de toutes les servitudes mentales qu’il lui a imposées.
Elle retrace ainsi l’histoire de sa famille, la rencontre de ses parents, deux âmes en peine éperdues, la joie de l’enfance qui peu à peu cède le pas à la peur, la sévérité de son père, son fanatisme, les violences physiques et les humiliations psychiques.
Une oeuvre nécessaire pour l’auteure, qui n’élude rien des bonheurs et malheurs qu’elle a vécus, ni des traumatismes, de son déchirement douloureux quand elle affronte ce père qu’elle aime malgré elle. Elle raconte son histoire telle qu’elle l’a vécue et ressentie, et je ne remets pas cela en question. Mais tout de même, la fin quasi hollywoodienne du livre, où elle pardonne son père en dépit de tout ce qu’il lui a infligé, m’a laissée stupéfaite, incrédule.
Quant au style, il est trop lyrique et poétique pour moi, à force de métaphores certes belles mais trop nombreuses. Le rythme est inégal, tantôt en longueurs et répétitions, tantôt en péripéties et personnages qui auraient gagné à être développés.
Malgré cela, « Dire Babylone » raconte un impressionnant parcours d’émancipation féminine, introduit au mouvement rastafari et immerge en Jamaïque, entre racisme, ségrégation, reggae, pauvreté, luxe et visions de paradis.
En partenariat avec les éditions Buchet-Chastel via Netgalley.
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Présentation par l’éditeur:
Cette histoire commence au bord de la mer des Caraïbes, sur un petit carré de plage jamaïcaine préservé des constructions d’hôtels de luxe qui envahissent la côte. Ici, la jeune Safiya grandit avec ses frère et sœurs entre une mère éprise de littérature et un père musicien de reggae qui obéit strictement aux préceptes rastafaris. Safiya évolue dans une Jamaïque pleine de musique, de mots, de nature triomphante, mais aussi dans un foyer marqué par l’oppression. Le père de Safiya y règne en maître, et inculque à ses enfants dès leur plus jeune âge l’horreur de « Babylone », qui désigne autant le maquillage ou la danse que la royauté britannique ou les violences policières.
Alors que Safiya voit sa mère se plier en silence aux exigences grandissantes de son père, la jeune fille choisira la voix de l’éducation et de la littérature pour découvrir qui elle est vraiment, et le faire savoir. Récit puissant d’un destin hors du commun, Dire Babylone est la preuve éclatante que la littérature peut changer le cours d’une vie.
Quelques citations:
– Pour les hommes de Rastafari, la fille parfaite était tout ce qu’une femme est censée être. […] Elle ne parlait que lorsqu’on lui adressait la parole. La fille parfaite était humble et n’avait aucun penchant pour la vanité. Elle n’avait pas de besoins, mais elle s’occupait des besoins des autres, et nourrissait une armée de puissants guerriers de Jah [Dieu]. La fille parfaite s’asseyait à l’ombre des pommiers et attendait qu’on l’appelle, l’esprit vide. Elle ne suivait d’autre dieu que son père, jusqu’à ce que son mari en prenne la place. La fille parfaite n’était rien de plus qu’un réceptacle pour la semence de l’homme, une argile immaculée attendant l’empreinte du doigt de Jah.
– Notre école avait organisé un voyage de classe à La Havane, que ma grand-mère aidait à financer. Ma mère et elle ont mis au point un argumentaire élaboré pour convaincre mon père de me laisser porter le pantalon. Elles ont expliqué que si l’avion pour La Havane s’écrasait alors que je portais une jupe, dans l’épave, mes jambes étalées et mes sous-vêtements seraient exposés aux yeux lubriques de Babylone. Je serais déshonorée. Mais si je voyageais en jean, ma dignité serait préservée même en cas de décès.
Et cela lui a suffi.