Auteur: Richard Powers
Editeur: 10/18 – 2013 (624 pages)
Lu en décembre 2015
Mon avis: Coïncidence, il y a quelques jours j’ai lu dans la presse* que la méga-firme cosmético-pharmaceutico-industrielle Johnson & Johnson avait été condamnée par un tribunal du Missouri à payer 72 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille d’une dame décédée d’un cancer des ovaires, ledit cancer ayant été provoqué par le talc commercialisé par Johnson & Co. Sans connaître les détails du procès, je reste assez sceptique quant au fait qu’on puisse un jour établir un lien de causalité certain, direct et exclusif entre ce talc et ce cancer, et je suis persuadée que Johnson fera appel du jugement, pas tellement pour ne pas payer, mais surtout pour éviter de créer un précédent judiciaire ruineux. Quoi qu’il en soit, les experts scientifiques de tous bords n’ont pas à s’inquiéter pour leur avenir, il y a tant à gagner pour eux dans de tels procès qui ne sont que batailles de rapports toxicologiques et contre-enquêtes environnementales.
« Gagner », « gains », le lien avec le roman de Powers est facile. Au départ de ces 620 pages, nous avons les frères Clare qui, au début du 19ème siècle, créent à Boston leur petite entreprise de fabrique de savon et de bougies. A l’arrivée, presque deux siècles plus tard, voilà Clare Inc., multinationale tentaculaire et diversifiée, fabriquant tant les couches pour bébé les plus douces aux fesses que les pesticides les plus agressifs, aussi efficaces contre les insectes nuisibles que nocifs pour le reste de l’environnement. Entre les deux, 170 ans d’esprit d’entreprise à l’américaine, de développement du capitalisme et de l’ultra-libéralisme. Powers nous retrace tout au long de ce pavé la fondation et la croissance exponentielle d’un monstre industriel et commercial qui ressemble comme un frère jumeau à Procter & Gamble. On observe, schémas et slogans publicitaires à l’appui, comment deux entrepreneurs du 19ème, soucieux de gagner leur vie, comprennent le profit à tirer en occupant le créneau de l’hygiène à prix démocratique, et transforment le savon, luxe réservé à l’élite, en produit de consommation de masse, accessible même au moins bien payé des ouvriers. Puis comment, concurrence féroce oblige, l’entreprise n’a d’autre choix que de croître pour ne pas couler, et de réduire en conséquence ses coûts de production, d’achats de matière première, et surtout de main-d’oeuvre. Et on glisse inexorablement de préoccupations hygiénistes « artisanales », voire paternalistes, à des manoeuvres de haute voltige économico-financière, visant à faire toujours plus avec toujours moins, à remplir les poches des actionnaires, et tant pis si c’est au détriment de la masse salariale et de la nappe phréatique.
Ce récit, qui ressemble beaucoup trop à un essai sur l’histoire du libéralisme économique, froid et sans âme, s’interrompt de temps à autre pour laisser la place à l’histoire de Laura, 40 ans, qui, en 1998, à l’apogée de Clare Inc., se débat contre un cancer des ovaires. On devine très vite comment la jonction va s’opérer entre ces deux histoires.
Résulats des Gains ? Un gros déficit de souffle malgré l’envergure du thème, une surproduction d’ennui, un excès de technicité indigeste pour l’histoire de Clare et de pathétique pour celle de Laura, qui ne suscite aucune empathie. L’exercice se clôture par une perte sèche à acter au bilan, n’en déplaise aux actionnaires.
*http://www.lefigaro.fr/societes/2016/02/24/20005-20160224ARTFIG00386-etats-unis-un-geant-pharmaceutique-condamne-a-verser-une-indemnite-record.php
Présentation par l’éditeur:
1830. La famille Clare crée à Boston une fabrique de savon. Un siècle et demi plus tard, trustant l’industrie des détergents et l’ère du marketing, la voilà multinationale. 1998. Quarante ans, mère divorcée, Laura Bodey est courtier immobilier à Lacewood, siège des usines Clare Inc. Dans l’ombre de l’empire Clare, sa vie va soudain basculer, piégée par le cancer capitaliste… Revisitant l’histoire folle du libéralisme, Richard Powers interroge l’état du monde, se glisse dans le secret des êtres et signe un roman visionnaire, provocateur et bouleversant.
Une citation:
« Les techniques de fabrication et la qualité des produits n’étaient plus guère à l’ordre du jour. Ce qui comptait désormais, c’était d’amener le consommateur à se gratter là où ça le démangeait, à mettre en bouteille l’eau salée qui allait entretenir sa soif. Le vieil impératif de l’efficacité matérielle était remplacer par la nécessité d’introduire des distinctions toujours plus fines et de les imposer au public. Clare était désormais en mesure de satisfaire n’importe quel besoin. Mais encore fallait-il pour ce faire être capable d’anticiper sur les goûts et les opinions des consommateurs. »
Mince, quel dommage ! Le thème était plutôt intéressant.
Mais oui, c’est ce que je m’étais dit en l’achetant puis en commençant à le lire. Je m’attendais à une saga palpitante…mais on est loin du compte :-/
Bon, et bien, je passerai mon tour ! 😀
je pense que tu y gagneras …du temps 😉
Je dirais que les écrivains qui se servent de l’actualité pour écrire leur roman, pêchent souvent dans l’excès en ce qui concerne les ressorts économiques ou autres et en oublient souvent le côté romanesque. Dommage !