jeudi , 3 octobre 2024

J’ai épousé un communiste

Auteur: Philip Roth

Editeur: Folio – 2003 (442 pages)

Lu en février 2016

j'ai épouséMon avis: Philip Roth est un poids lourd de la littérature américaine, il le démontre une nouvelle fois ici. Comme dans « Pastorale américaine » et « La tache », il met en scène Nathan Zuckerman, son double littéraire, pour évoquer, à partir d’un destin individuel, une tranche de l’histoire des Etats-Unis. Cette fois, c’est un Zuckerman vieillissant qui retrouve Murray Ringold, son professeur d’anglais au lycée. Tous deux se remémorent le passé et l’histoire d’un homme qui les a profondément marqués, Ira Ringold, frère de Murray, et qui, le premier, éveilla la conscience politique du jeune Nathan, adolescent en pleine ébullition dont le cerveau intelligent mais encore tendre ne demande qu’à s’enflammer pour une belle cause.

La « cause » en question, c’est celle du communisme. En ces années 50, à l’heure du maccarthysme et de la chasse aux sorcières, embrasser cette cause n’est pas la meilleure idée du monde. Alors pour Ira, qui non seulement embrasse, mais étreint son idéal de toutes ses forces et se jette corps et âme dans le fleuve du marxisme, ce qui avait commencé avec le rêve d’un monde meilleur s’achèvera dans un infâme cauchemar américain. La vie d’Ira Ringold, c’est la splendeur puis la déchéance d’un homme entré en communisme en même temps qu’à l’usine, d’un utopiste quasiment analphabète endoctriné à coup de credo plus rouges que rouges. Son talent de prédicateur acharné vociférant ses diatribes lors de meetings politiques le fait repérer par un producteur, qui fait rapidement de lui une vedette de feuilletons radiophoniques. Ira Ringold devient Iron Rinn, et, sans pour autant renier ses convictions, passe de son quartier prolétaire à la jet-set de New-York, où il rencontre et épouse Eve Frame, starlette de la télévision. Déjà mariée trois fois, affublée d’une fille « castratrice », Eve, aussi belle, cultivée et parfaite femme du monde à l’extérieur que vide, mesquine et ignare à l’intérieur, a donc, sans le savoir, épousé un communiste. Car Ira a toujours juré qu’il n’avait pas de carte du parti.

Ce mariage sonne le début de la fin, Eve, femme frustrée sous l’emprise de sa fille, allant de désillusions en déceptions. La paranoïa et le climat de délation ambiants ajoutés à la volonté de vengeance d’une femme trahie précipiteront le destin d’Ira.

Portrait dense et complexe d’un homme de convictions et de contradictions, au mieux idéaliste, au pire bouffon et traître à la cause, ce roman à la fois politique et social donne à voir une image sinistre d’une Amérique paranoïaque et schizophrène qui, sous couvert de patriotisme, a écrasé des milliers de gens qui osaient penser autrement.

Tiens, au fait, pourquoi ai-je cette étrange impression que l’Histoire repasse sans cesse les mêmes plats ?

Présentation par l’éditeur:

Le maccarthysme a beau déferler sur l’Amérique au tournant des années cinquante, Ira Ringold se croit à l’abri de la chasse aux sorcières. Non seulement parce que son appartenance au parti communiste est ignorée même de ses amis, mais surtout parce que l’enfant des quartiers pauvres de Newark, l’ancien terrassier au lourd passé, s’est réinventé en Iron Rinn, vedette de la radio, idéale réincarnation de Lincoln, et heureux époux de Eve Frame, ex-star du muet. Mais c’est compter sans la pression du pouvoir, sans les aléas du désir et de la jalousie, sans la part d’ombre que cachent les êtres les plus chers. Car si Ira a changé d’identité, Eve elle-même a quelque chose à cacher. Et lorsqu’une politique dévoyée contamine jusqu’à la sphère intime, les masques tombent et la trahison affecte, au-delà d’un couple, une société tout entière. Ne reste alors aux témoins impuissants, le frère d’Ira et son disciple fervent, le jeune Nathan Zuckerman, qu’à garder en mémoire ces trajectoires brisées, avant enfin, au soir de leur vie, de faire toute la lumière sur une page infâme de l’Amérique. Un roman qui rend justice à ces individus détruits par la tourmente des événements et qui décrit avec une rare puissance comment l’Histoire ébranle la trame même de nos existences.

Quelques citations:

– « Rien n’est plus fatal à l’art que le désir de l’artiste de prouver qu’il est bon. Quelle tentation terrible, l’idéalisme! Il faut que vous parveniez à maîtriser votre idéalisme, et votre vertu tout autant que votre vice, il faut parvenir à la maîtrise esthétique de tout ce qui vous pousse à écrire au départ: votre indignation, votre haine, votre chagrin, votre amour! Dès que vous commencez à prêcher, à prendre position, à considérer que votre point de vue est supérieur, en tant qu’artiste vous êtes nul, nul et ridicule! Pourquoi écrire ces proclamations? Parce que quand vous regardez autour de vous vous êtes « choqué »?Parce que quand vous regardez autour de vous vous êtes « ému »? Les gens renoncent trop facilement, ils truquent leurs sentiments. Ils veulent éprouver des sentiments tout de suite, alors ils sont « choqués », ils sont « émus », c’est le plus facile. Et le plus bête. » 

– « Ecoute, tout ce que disent les communistes sur le capitalisme, c’est vrai. Et tout ce que disent les capitalistes sur le communisme, c’est vrai. Seulement la différence, c’est que notre système marche parce qu’il est fondé sur une vérité: l’égoïsme humain; le leur marche pas parce qu’il est fondé sur un conte de fées: la fraternité humaine. Il est tellement dingue, leur conte de fées, qu’ils sont obligés de te coller les gens en Sibérie pour qu’ils y croient. Pour qu’ils y croient, les gens, à cette histoire de fraternité, il faut contrôler la moindre de leurs pensées, ou alors les fusiller. »

Evaluation :

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4 commentaires

  1. Je m’étais arrêtée au titre qui ne m’emballait pas du tout et j’avais tort ! Ta critique me donne très envie de découvrir ce roman et Philip Roth est une pointure.

  2. Je confirme : ta critique donne envie de lire cette histoire. Communiste aux Etats-Unis n’est pas un statut facile et j’aime la difficulté !