Auteur: Clemantine Wamariya
Editeur: Les Escales – 10 janvier 2019 (312 pages)
Lu en janvier 2019
Mon avis: Difficile de critiquer un témoignage. Encore plus quand c’est celui d’une jeune Rwandaise qui a dû fuir son pays à l’âge de six ans, au début du génocide. Encore plus quand on sait que, dans cet exil, elle n’était accompagnée que de sa sœur aînée (15 ans), et qu’elles ont dû se déplacer à travers sept pays d’Afrique pendant six ans, de camps de réfugiés en bidonvilles, avant d’avoir l’opportunité d’émigrer aux Etats-Unis. Qui suis-je pour oser juger ce texte?
Clemantine est donc cette survivante, qui nous raconte l’indicible de ces années d’errance, en alternance avec le récit de son adaptation compliquée à sa nouvelle vie américaine. Avec pudeur et sobriété, elle évoque les violences auxquelles elle a assisté, la vie dans les campements, la débrouille, le délabrement moral complet des réfugiés, l’insécurité, surtout pour les femmes/filles isolées, la terreur que sa sœur l’abandonne. Evidemment, à l’époque, à cet âge, les enjeux politiques la dépassent, et la petite fille comprend seulement qu’il faut survivre, s’adapter, et qu’à peine on a pris ses marques dans un endroit, il faut repartir vers un autre qu’on espère moins pire. Elle explique ensuite ses difficultés à appréhender ce rêve américain qui lui tend les bras : tandis que sa sœur s’installe dans un petit appartement avec ses enfants, vivote en faisant des ménages et s’intègre à la communauté africaine locale, Clemantine, encore mineure, est accueillie dans une famille aisée qui met tout en œuvre pour qu’elle puisse se reconstruire, et qui la mènera jusqu’à l’université de Yale. Mais la jeune fille, brillante, reste hantée par la peur, toujours aux aguets, repérant les issues de secours, et surtout, elle porte en elle une colère qu’elle gère mal. Désemparée parce que personne ne peut même imaginer ce qu’elle a traversé, et parce qu’elle n’arrive pas à en parler avec sa sœur qui refuse la discussion, elle enrage de ne pas arriver à s’exprimer, et croit que si les autres l’aident, c’est uniquement pour se donner bonne conscience. J’espère pour elle que l’écriture de ce livre lui aura été un exutoire…
Difficile, donc, de critiquer ce récit. Sur le fond, même si on ne comprend pas forcément toutes les actions/réactions de Clemantine, on ne peut que se dire qu’il est juste impossible de s’identifier à elle. Sur la forme, le texte est captivant, bouleversant, touchant, dans sa partie « africaine ». J’ai trouvé l’autre partie un peu trop répétitive, académique et cérébrale. Drôle de contraste qui illustre bien la volonté de Clemantine de s’adapter, d’être celle qu’on attend qu’elle soit, la petite réfugiée résiliente, prototype de la réalisation du rêve américain. J’ai aussi trouvé un peu étrange le décalage entre la colère de Clemantine (« personne ne peut me comprendre ») qui suinte tout au long du récit, et les six (!) pages de remerciements en fin d’ouvrage. Quelque chose m’échappe et me laisse avec un léger sentiment de malaise. Voire – sans que j’en comprenne précisément la raison – de culpabilité.
En partenariat avec les éditions Les Escales, via Netgalley.
Présentation par l’éditeur:
Rwanda, 1994. Clemantine a six ans lorsqu’elle doit fuir les massacres avec sa grande sœur Claire. Sans nouvelles de leur famille, déplacées de camps de réfugiés en camps de réfugiés, elles affrontent la faim, la soif, la misère et la cruauté pendant six ans avant d’arriver aux États-Unis.
À Chicago, Clemantine est recueillie par un couple aisé et découvre soudain une tout autre réalité. Projetée dans un véritable rêve américain, l’adolescente est pourtant plus perdue que jamais. Une question s’impose alors : comment se reconstruire et donner un sens à son histoire après avoir vécu l’enfer ?
Sincère, urgent et bouleversant, La Fille au sourire de perles examine la question de l’identité et de l’appartenance, des cicatrices laissées par un traumatisme, mais aussi du rapport à l’autre quand celui-ci ne voit en vous qu’une victime.
Un témoignage actuel et plus que jamais nécessaire.
Quelques citations:
– Prendre soin des êtres aimés, dans mon monde, n’était pas fondé sur l’affection, mais sur la peur de les perdre.
– Au milieu de la première nuit passée chez les Beasley, lorsque je me suis réveillée pour aller aux toilettes, j’ai grimpé les escaliers et ouvert le réfrigérateur. Je n’en avais jamais vu d’aussi énorme […]. J’étais stupéfiée et impressionnée. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à nos voisins, dans notre bidonville en Zambie. A ma place, ils auraient été effarés. Comment pouvait-il exister quelque part un tel excès de nourriture tandis qu’ailleurs, à quelques heures d’avion, des gens mouraient de faim? […] Puis soudain j’ai songé: « C’est ma vie, et en même temps ce n’est pas ma vie. Je mérite tout ça parce que j’ai souffert. » Mais une autre petite voix s’est élevée en moi. Est-ce que tous ceux qui possédaient de tels réfrigérateurs avaient souffert, eux aussi?