Auteure: Ursula Le Guin
Editeur: Les Moutons Electriques – 2021 (172 pages)
Lu en juillet 2022
Mon avis: Sur la planète Victoria vivent deux communautés d’origine terrienne, déportées sans possibilité de retour il y a quelques générations. Les habitants de la Cité ont été exilés les premiers, tels des hors-la-loi, en raison de leur violence et de leur soif de pouvoir. Ceux de la Zone, ou Peuple de la Paix, ont suivi quelques années plus tard, parce que, en fin de compte, ils effrayaient tout autant les Terriens en raison de leurs convictions pacifistes, inspirées de Gandhi, qui menaçaient de contaminer toute la planète bleue (une Terre sans guerres, vous imaginez un peu ? Non, moi non plus, et les marchands d’armes encore moins, mais c’est une autre histoire).
Aujourd’hui sur Victoria, les gens de la Zone se sentent un peu à l’étroit et rêvent de couper le cordon avec la Cité, qui les contraint à partager leurs ressources agricoles sans réelle compensation. Un jour, un groupe de Zonards revient d’une lointaine expédition en affirmant avoir découvert un endroit où une nouvelle colonie du Peuple de la Paix pourrait être implantée. Les notables de la Zone se rendent donc à la Cité en vue de négocier pacifiquement l’émigration d’un petit groupe de colons. Mais la Cité n’entend pas perdre la moindre parcelle de son influence sur la Zone, refuse le dialogue et interdit purement et simplement l’émigration.
La situation entre les deux communautés se tend, la Cité menace de recourir à la violence pour décourager les dissidents, tandis que la Zone s’accroche à sa philosophie pacifiste de résistance passive et de désobéissance civile. Chacun s’entête et campe sur ses positions, même si, dans la Zone, on se remet néanmoins en question face à ce blocage sans issue, sans pour autant combattre ni se soumettre.
La solution arrivera peut-être par Luz, la fille du chef de la Cité. Se sentant depuis toujours à l’étroit dans sa cage dorée de privilégiée, la jeune fille observe les deux camps, et ne comprend ni la brutalité de la Cité, ni le pacifisme jusqu’au-boutiste de la Zone, tous deux stériles. Mais la troisième voie qu’elle choisira pour tenter de résoudre le conflit et s’émanciper elle-même n’est pas dépourvue de difficultés, ni de sacrifices.
Avec des mots simples et en moins de 200 pages, Ursula Le Guin bâtit tout un univers et donne naissance à des personnages complexes, jeunes ou vieux, brutaux ou pacifistes, passionnés, idéalistes, épris de pouvoir ou de liberté, irrémédiablement opposés dans leurs conceptions du monde. « L’œil du héron » est un court roman de SF politique, qui dénonce les régimes autoritaires et interroge le réalisme et l’efficacité de la rébellion non violente, et la possibilité d’un monde nouveau débarrassé des défauts de l’ancien. Un texte qui parle aussi de liberté et de libre-arbitre, et d’émancipation féminine.
Présentation par l’éditeur:
Cette élégante créature grise, que, faute de mieux, les habitants de Victoria ont baptisé héron, est le témoin silencieux et énigmatique des démêlés du Peuple de la Paix avec ses oppresseurs de la Cité. Les deux communautés ont été jadis déportées sur cette planète éloignée de la Terre : l’une à cause de sa contagion pacifiste, et l’autre de sa soif de pouvoir et de violence. Les contestataires utopistes de la Zone réussiront-ils à échapper aux foudres répressives des orgueilleux citadins ?
Le pacifisme et la non-violence tels que les prônait Gandhi sont-ils suffisants ?
Un conflit entre deux modèles sociaux, pas si manichéen qu’il en a l’air. À Travers ce magnifique roman, la grande Ursula K. Le Guin (1929 – 2018) développe en fait le thème de l’Éternel Retour, d’où la symbolique omniprésence de l’anneau et du cercle, dont l’œil du héron constitue en quelque sorte le miroir muet.