samedi , 20 avril 2024

Mathématiques congolaises

Auteur: In Koli Jean Bofane

Editeur: Actes Sud – 2008 (317 pages)

Lu en 2013

mathématiques congolaisesMon avis: Voici une immersion en Afrique, pas celle des savanes et des safaris, mais celle des villes, Kinshasa en l’occurrence. Tentaculaire, embouteillée et poussiéreuse, royaume de la corruption à tous les niveaux de pouvoir, en particulier dans les sphères les plus élevées. Bling-bling, luxe et apparence de démocratie côté face, côté pile c’est plutôt une sorte de cour des miracles où la Faim règne en tyran, rythmant le quotidien des habitants au ventre creux. Trouver du travail pour manger, voilà la principale préoccupation de nombreux Kinois.
Parmi ceux-ci, Célio Mathematik sort du lot. Eduqué, la petite trentaine, orphelin de guerre, il a survécu au traumatisme du massacre de ses parents en s’accrochant à un vieux bouquin d’algèbre, qui lui a valu son surnom. Ce manuel tient lieu de bible à Célio, qui puise dans les théorèmes mathématiques et les principes de physique des professions de foi qui, croit-il, guideront sa vie et la marche du monde.
Après une émeute qui tourne mal, Célio est repéré par un homme puissant au service du Président. le voilà recruté au laconique « Bureau Information et Plans ». Célio a sauté sur cette occasion unique d’enfin gagner décemment sa vie, et se met sans trop de scrupules au service d’une entreprise de manipulation politico-médiatique de l’opinion.
Mais malgré l’ascenseur social, cette situation s’avérera de moins en moins tenable pour Célio, imprégné qu’il est malgré tout d’une certaine morale que la politique politicienne réprouve.
Très bien écrit, ce roman prend des allures de thriller politique, mais il vaut surtout pour la fresque très réaliste à travers laquelle il dépeint une Afrique urbaine, mélange complexe de débrouille, de violence, de corruption, de misère, de manipulation et de solidarité, où la tension est permanente et l’implosion jamais bien loin.
Une réussite, donc, et aussi un tour de force d’avoir mêlé humour, amour et…mathématiques.

Présentation par l’éditeur: 

Dans un Kinshasa secoué de remous de toutes sortes, Célio aurait pu traîner sa galère encore longtemps, n’eût été sa rencontre avec le directeur d’un bureau aux activités très confidentielles, attaché à la présidence de la République. La faim tenaille suffisamment les ventres pour que le débat sur bien et mal puisse être sérieusement envisagé. La ville ne fait pas de cadeau, le jeune homme le sait, et il tient là l’occasion de rejoindre le cercle très fermé des sorciers modernes qui manipulent les êtres et la vie quotidienne.

Orphelin depuis l’une des guerres qui ravagent le pays, Célio conserve comme une bible un vieux manuel scolaire, retrouvé dans le sac de son père tué au hasard d’une route de fuite. C’est grâce à des théorèmes et à des définitions que Célio Mathématik espère influer sur le destin dont il dit n’être que le jouet.

Un moment emporté dans la spirale sympathique de la vie facilitée, Célio Mathématik n’a cependant pas oublié la mort suspecte de Baestro, un vieux copain qui gagnait quelques sous en participant à des manifs arrangées par l’éminence grise du pouvoir, mais qui un jour y a laissé sa vie. Avec humour et gravité, connaissant son monde et pour cause, In Koli Jean Bofane campe d’une plume aussi acerbe qu’exotique ses personnages et dresse des tableaux d’un Congo que le lecteur s’approprie vite parce qu’il sent les rues, palpite au rythme des musiques et des images livrées avec justesse et énormément d’empathie.

Quelques citations: 

– « Les oubliés du miracle économique produisaient et manipulaient des denrées inestimables et rares, destinées à une technologie de pointe dont certaines applications avaient tout simplement pour but de les asservir encore davantage. Les circuits intégrés allaient produire des images et des concepts pour continuer à les persuader qu’ils seraient toujours les derniers des derniers sur la planète qui est la nôtre, et que tous leurs combats utopiques seraient toujours vains et, de toute façon, voués à l’échec. Les métaux précieux, une fois portés au feu, seraient envoyés dans l’espace afin de les surveiller, comme de grands enfants, sous l’oeil constant de satellites sophistiqués. Au cas où certains aspects de cette globalisation seraient mal perçus par ces populations, ce même cuivre reviendrait immanquablement, sous forme de blindages de balles de 7,62 crachées avec hargne par quelques kalachnikovs rebelles. Si tout ceci devait rendre quelqu’un malade, à partir de ces mêmes matériaux on développerait des traceurs médicaux efficaces. Malheureusement leurs prix seraient inversement proportionnels à la baisse du cours des matières premières et tributaires de la hausse du dollar. Devenant, du coup, inabordables pour le pauvre hère courbé sous son bât quotidien. Mais qu’importe, tant qu’il mettrait du coeur à l’ouvrage, rien n’était encore perdu, lui promettait-on ».

– « L’insuffisance d’infrastructures modernes rendait les manoeuvres de chargement difficiles et les hommes en haillons suaient déjà à cette heure du matin, les muscles saillant sous l’effort. A cause du manque de moyens de manutention, le départ aurait certainement du retard, mais à vingt-cinq dollars le kilo de cobalt, au prix où était le caviar, on en avait sûrement pour son argent. Ce qui du coup posait la question: l’homme en viendra-t-il un jour à jalouser l’esturgeon? Ou encore: vaudra-t-il mieux, pour certains sur cette terre, comme le panda ou le phoque, confier ses intérêts au WWF ou Greenpeace plutôt qu’à l’ONU? »

Evaluation :

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