Auteur: Santiago Gamboa
Editeur: Métailié – 2014 (312 pages)
Lu en mai 2025
Mon avis: A Bangkok, le Consul de Colombie est appelé à la rescousse d’un jeune compatriote, Manuel, emprisonné pour trafic de drogue. Pour sauver sa tête, son avocat lui a conseillé de plaider coupable, mais le jeune homme clame son innocence. Il se confie au Consul, qui comprend rapidement qu’il n’y a qu’une seule chose à faire pour convaincre Manuel, quasiment suicidaire, de jouer le jeu et échapper à la peine de mort : retrouver Juana, la sœur aînée de celui-ci, la seule à lui avoir jamais témoigné de l’amour, à avoir tout tenté pour que Manuel puisse réaliser ses rêves.
Mais voilà des années que Manuel est sans nouvelles de sa sœur, disparue alors qu’elle étudiait la sociologie à l’université de Bogotá, et alors que la Colombie était la proie d’une énième flambée de violence, victime des tirs croisés des paramilitaires, des narcos et des FARC.
Le Consul remue ciel et terre et toutes ses ressources diplomatiques pour retrouver Juana. De Bogotá à Bangkok en passant par Tokyo et Téhéran, il suit la trace pour tenter de réunir la sœur et le frère, et redonner courage et espoir à ce dernier.
En parallèle de ce jeu de piste, et encore plus intéressant, c’est le portrait que Santiago Gamboa dresse du système politique colombien du début des années 2000. Un portrait au vitriol, qui dénonce avec férocité la corruption, la violence d’Etat, les disparitions forcées, la droite conservatrice nationaliste et sécuritaire, et l’étroitesse d’esprit de la classe moyenne (tendance modeste à défavorisée) qui vote de toute sa conviction pour cette même droite, et dont font partie les parents de Manuel et Juana. On ressent aussi toute l’empathie de l’auteur pour ces enfants honteux de leurs parents, auxquels ils ne veulent surtout pas ressembler, des parents « conservateurs, non pas d’une droite cultivée et aristocratique, mais plutôt d’une droite minable, mesquine et patriotarde, typique de là-bas. Des gens pleins de haine et de ressentiment qui cherchent quelque chose ou quelqu’un contre qui (ou à travers qui) exprimer leur haine ou leur ressentiment, et remplis d’admiration pour la classe supérieure et son arrivisme, son arrogance et son racisme ».
« Prières nocturnes » raconte une histoire d’amour fusionnelle entre un frère et une sœur, seuls au monde, séparés pour le meilleur ou pour le pire. Et au-delà des péripéties plus ou moins rocambolesques, au fil de pages belles et émouvantes, c’est aussi un hommage rageur et nostalgique à un pays (à l’époque) à feu et à sang.
Présentation par l’éditeur:
Accusé de trafic de drogue et emprisonné à Bangkok, Manuel, un étudiant en philosophie colombien, risque la peine de mort s’il ne reconnaît pas sa culpabilité, mais sa seule préoccupation est de revoir sa sœur, disparue. Touché par son histoire, le consul de Colombie, amateur de cocktails au cœur tendre, se lance à la recherche de la jeune femme pour convaincre Manuel de lutter malgré tout. Il va découvrir le désert affectif d’une famille immergée dans une société violente, d’une petite bourgeoisie prisonnière du qu’en-dira-t-on et fascinée par une richesse inaccessible.
Dans une prose limpide teintée de mélancolie, ce roman nous parle d’une femme prête à tout pour défendre son idée de la justice et permettre à son frère de vivre ses rêves, et d’un étudiant qui n’hésite pas à risquer sa vie pour retrouver la seule personne qui lui a donné son amour.
Formidable raconteur d’histoires Santiago Gamboa nous emmène à travers le monde sur les traces de son héroïne passionnée et cynique qui retourne sa beauté contre ceux qui veulent l’exploiter et fait d’un amour fraternel une raison de vivre.
Une citation:
En Europe, il n’y a pas de futur. C’est un continent fatigué et grincheux qui veut apprendre à vivre aux autres, mais à force de se regarder dans un miroir, l’Europe s’est figée. […] L’Italie et la France sont gouvernées par des clowns, que signifie être de gauche là-bas? Pas grand-chose: lire la presse de gauche, avoir un vieux CD de Manu Chao, des tee-shirts du Che et du sous-commandant Marcos, se soucier de l’écologie et des droits de l’homme dans un pays lointain, guère plus. L’Europe, comme toute société opulente, est sur la pente descendante. Comme un individu qui a tout: il est amoureux de lui-même et il s’admire, c’est ce qui se passe là-bas, mais ce que ne savent pas les Européens, c’est qu’ils ne sont l’avenir de personne.