Auteur: Jeffrey Eugenides
Editeur: Points – 2010 (254 pages)/L’Olivier – 2024 (272 pages)
Lu en juillet 2025
Mon avis: Les cinq sœurs Lisbon, âgées de 13 à 17 ans, se sont suicidées en l’espace d’une année.
Dans leur banlieue tranquille et aisée de Detroit, personne n’a réellement compris leurs raisons. Seuls les garçons du quartier, adolescents à l’époque des faits et éperdument amoureux de ces cinq filles belles et intelligentes qui avaient tout pour réussir, ont tenté de reconstituer les faits et les pensées des sœurs.
Vingt ans après, toujours traumatisés, toujours amoureux et toujours aussi perplexes, ils relatent leur enquête, comme s’ils se confiaient à un psychologue, un policier, un journaliste, allez savoir.
Les filles Lisbon n’ont laissé aucun indice pour expliquer leur geste, alors les garçons, se basant sur ce qu’ils ont pu observer, se perdent en conjectures. Après le premier suicide, celui de Cecilia, ils ont vu – et toute la petite communauté du quartier avec eux – comment la mère Lisbon avait décidé de cloîtrer ses filles survivantes à demeure, les privant successivement de sorties, de musique, de téléphone, d’école. Comment a-t-elle pu penser que, de la sorte, elle protégerait ses filles ? Du monde extérieur peut-être, mais en l’occurrence celui-ci était loin d’être aussi menaçant que le monde intérieur des adolescentes…
A mesure que la famille Lisbon se replie sur elle-même, leur maison et le jardin semblent suivre le même mouvement, s’enfonçant tous ensemble, humains et non-humains, dans la décrépitude et le délabrement, à force de négligence et de manque de soins. De loin, du haut de leur cabane dans un arbre, les garçons épient, impuissants, les silhouettes aux fenêtres, les rares allées et venues de la maison à la boîte aux lettres des occupants de cette demeure destinée à devenir un tombeau.
Evidemment ce roman ne respire pas la joie de vivre. Dès les premières lignes (dès le titre, en fait), on sait que les cinq jeunes filles vont se suicider, et l’ambiance est lourde et oppressante.
A l’instar des garçons, le lecteur, au bas de la dernière page, continue de s’interroger, parce que le récit ne permet pas de comprendre les ressorts psychologiques qui ont poussé les filles vers la mort. Les garçons connaissaient en réalité assez peu les filles, au point parfois de les confondre entre elles et de les fondre en une entité indistincte et fantasmée. Les garçons eux-mêmes, d’ailleurs, qui pour la narration utilisent un « nous » anonyme, apparaissent aussi comme un groupe indifférencié, un peu comme un chœur de tragédie grecque scandant un drame.
Et donc tout est un peu brumeux, incertain, l’époque (même si on devine les années 70), les noms, les explications, les hypothèses, les circonstances.
Les amateurs de psychologie (comme moi) resteront un peu sur leur faim, avec de nombreux pourquoi : pourquoi les parents se sont comportés ainsi, pourquoi personne n’est intervenu, pourquoi les filles n’ont-elles pas fugué,…
Un roman grave et amer sur les affres et la fragilité de l’adolescence, sur l’enfermement et la liberté, sur les abus parentaux pleins de bonnes intentions et leurs conséquences, le désespoir et la folie.
Malgré quelques excès de lyrisme, un texte marquant.
Présentation par l’éditeur:
Jeunes, belles et fragiles, les cinq filles Lisbon se suicident en l’espace d’une année. Difficile de comprendre ce qui se passe derrière les murs de la villa familiale : un quotidien étouffant, une mère plus sévère que les autres, une folie contagieuse… Des garçons du quartier, effrayés et fascinés, observent les filles s’effondrer une à une. Devenus adultes, ils s’interrogent encore.
Jeffrey Eugenides, né dans le Michigan en 1960, a écrit son premier roman, Virgin suicides, en 1993. Il a été adapté au cinéma avec succès par Sofia Coppola en 1999. Son deuxième roman, Middlesex, a reçu le prix Pulitzer en 2003.