Auteur: Victor Remizov
Editeur: Belfond – 24 janvier 2019 (400 pages)
Lu en février 2019
Mon avis: A Beloretchensk, au fin fond de la Sibérie contemporaine, Katia et Nastia ont des caractères diamétralement opposés. Elles ont néanmoins en commun un lien familial et la même petite vingtaine d’années. Toutes deux ont aussi des rêves d’avenir, et un seul moyen pour les réaliser : gagner de l’argent. Mais elles savent parfaitement que ce n’est pas dans leur bled étriqué et miséreux qu’elles feront fortune. Leur eldorado s’appelle Moscou, la ville du travail et de l’argent faciles. En route, donc. Les deux cousines débarquent dans la grande ville brillante et fastueuse, mais le vernis qu’elles imaginaient ne va pas tarder à se craqueler. Travail et logement sont des denrées très convoitées, la demande dépasse l’offre, et les jeunes filles, comme des centaines d’autres migrants des républiques l’ex-empire soviétique, doivent tabler sur la chance et la débrouille pour subsister et éviter un retour perdant dans leur village. Et quand l’amour s’en mêle (ou s’emmêle), il complique ou simplifie les choses, c’est selon…
Devouchki est un roman d’apprentissage tout en contrastes et en paradoxes. Katia et Nastia, d’abord. L’une est pure, innocente, cultivée, intelligente, gentille et désintéressée, l’autre est vulgaire, ignare, calculatrice, jalouse, cupide, mauvaise si nécessaire. L’une qui foire tout et l’autre à qui tout sourit, ou presque. Puis il y a l’opposition entre la province et la ville, la Nature belle et généreuse et l’insalubrité des bas-quartiers, les moscovites et les émigrés, les nouveaux riches et les éternels pauvres, l’abîme entre la droiture et la bonté des uns, et la corruption et la fourberie des autres, entre les hommes prédateurs et les jeunes femmes isolées qu’ils considèrent comme leurs proies légitimes (« …parce que le plus important chez une femme… c’est l’homme auquel elle appartient »). Dans un pays qui n’échappe pas à la crise et à l’incurie de ses dirigeants au point de donner à certains la nostalgie du communisme (« Nous sommes dirigés par une force stupide qui ne sait rien faire par elle-même, à part confisquer les biens d’autrui »), l’argent et les mâles russes sont encore rois. Mais la chute peut se révéler plus rapide que l’ascension. Et ils ne font pas toujours le poids face à l’amour, à la morale et au respect de soi-même.
Voilà un livre très romanesque, entre noirceur et lumière, écrit avec style et souffle, qui se lit d’une traite. Un portrait de la Russie actuelle, contradictoire et chaotique, qui ne donne pas forcément envie d’aller à Moscou, mais bien de se précipiter sur l’autre roman de l’auteur, Volia Volnaïa.
En partenariat avec les Editions Belfond via Netgalley.
Présentation par l’éditeur:
À Beloretchensk, en plein cœur de l’immense Sibérie, Katia et Nastia, la vingtaine, lasses de voir leur quotidien s’embourber dans la misère, décident de quitter leur province natale pour les lumières de la capitale.
Elles rêvent d’avenir, d’argent, d’amour ; elles rêvent d’amitié, de joie, de nouveauté. Mais c’est le Moscou de l’argent sale, du mensonge et de la violence qui les accueille. À peine descendues du train, les voici traquant toit, travail, nourriture, craignant à chaque minute de devoir retourner auprès de leurs familles et assumer un échec.
Livrées à elles-mêmes dans une jungle urbaine d’une brutalité inouïe, les deux devouchki se verront contraintes de garder la tête froide pour éviter d’avoir à commettre le pire et de sacrifier ce qu’elles ont de plus cher : l’espoir.
Après le succès de Volia volnaïa, Victor Remizov explore de nouveau les paradoxes d’une Russie à deux vitesses, entre campagne sibérienne et faste moscovite, pour dresser le portrait d’une jeunesse qui cherche à se construire. Aussi glaçante qu’intense, une fresque brillante où s’entremêlent les destins de deux cousines en quête de repères.