Auteur: Romain Gary
Editeur: Folio – 1977 (214 pages)
Lu en décembre 2019
Mon avis: Un titre pareil, ça vous donne des envies de douceur et de tendresse à s’enrouler dans des bras ou un plaid bien chauds. Sauf que quand Emile Ajar/Romain Gary s’en mêle (s’emmêle), on se retrouve avec un python sur les bras, ou plutôt les bras enserrés dans les anneaux d’un python supposément affectueux. Mais recommençons par le commencement : Mr Cousin est un jeune homme très convenable et très amoureux en secret de sa collègue, la très guyanaise Mlle Dreyfus. Il n’a pas encore osé lui dire, bien sûr, mais il est tout à fait sûr-convaincu qu’ils vont bientôt se marier. En attendant, lors d’un voyage en Afrique, Mr Cousin a eu un coup de foudre pour un python abandonné, et l’a ramené dans son petit appartement parisien. Il baptise l’animal Gros-Câlin, un prénom à peine subliminal qui en dit long sur les attentes de Mr Cousin, atteint dans son subconscient d’un grave vide affectif. Le python reconnaissant a d’ailleurs bien compris le message et entoure son sauveur de tendres circonvolutions. Le conte serait de fées s’il n’y avait les voisins peu compréhensifs, la crainte que Mlle Dreyfus ne s’offusque de cette concurrence déloyale de 2 mètres 20, et l’appétit du serpent qu’il faut contenter de jolies souris blanches.
Dans une grande ville pleine de déserts affectifs, Mr Cousin est rempli d’un grand vide et déborde d’un trop-plein d’amour et de tendresse à donner. Seul au milieu de dix millions d’habitants, il se fait remarquer en promenant Gros-Câlin, son exutoire adoptif. Il nous raconte ses aventures avec une sorte d’innocence bonhomme, en se berçant d’illusions et sans lamentation. Il ne faut pas être grand psy pour lire entre les courbes du python qu’il crève de solitude, caché derrière un masque tellement transparent qu’il ne trompe que lui-même.
Fable humoristico-désespérée sur la solitude et l’indifférence, Gros-Câlin est surtout un texte d’une étonnante vitalité inventive, faite de calembours, de mots-mis-pour-d’autres, d’expressions incongrues, saugrenues et biscornues, de phrases assemblées en suivant un mode d’emploi « ikeologique ». Cela rend le texte parfois difficile à suivre, confus d’élucubrations, mais le message d’ensemble est très touchant. « Je sais également qu’il existe des amours réciproques, mais je ne prétends pas au luxe. Quelqu’un à aimer, c’est de première nécessité« .
Gros câlins de Noël à toutes et tous ! 🙂
Présentation par l’éditeur :
« Je sais parfaitement que la plupart des jeunes femmes aujourd’hui refuseraient de vivre en appartement avec un python de deux mètres vingt qui n’aime rien tant que de s’enrouler affectueusement autour de vous, des pieds à la tête. Mais il se trouve que Mlle Dreyfus est une Noire de la Guyane française, comme son nom l’indique. J’ai lu tout ce qu’on peut lire sur la Guyane quand on est amoureux et j’ai appris qu’il y a cinquante-deux familles noires qui ont adopté ce nom, à cause de la gloire nationale et dur racisme aux armées en 1905. Comme ça, personne n’ose les toucher. »
Une étonnante fable humoristique, premier roman de l’auteur sous le pseudonyme d’Emile Ajar.
Quelques citations:
– Ce curé a toujours été pour moi un homme de bon conseil. Il était sensible à mes égards et très touché, parce qu’il avait compris que je ne le recherchais pas pour Dieu, mais pour lui-même. Il était très susceptible là-dessus. Si j’étais curé, j’aurais moi aussi ce problème, je sentirais toujours que ce n’est pas vraiment moi qu’on aime. C’est comme ces maris dont on recherche la compagnie parce qu’ils ont une jolie femme.
– Beaucoup de gens se sentent mal dans leur peau, parce que ce n’est pas la leur.
– D’ailleurs je n’attendais nullement qu’il mette son bras autour de mes épaules, en me jetant un de ces « ça va? » qui permettent aux gens de se désintéresser de vous en deux mots et de vaquer à eux-mêmes.
Oui, c’est touchant, un peu « foutraque », mais touchant !