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La société des rêveurs involontaires

Auteur: José Eduardo Agualusa

Editeur: Métailié – 21 février 2019 (280 pages)

Lu en février 2019

Mon avis: Daniel Benchimol, angolais, est journaliste le jour et grand rêveur la nuit. Il rêve de gens qu’il ne connaît pas. Un jour, sur la plage d’un hôtel il trouve un appareil photo dont la carte mémoire contient des portraits des personnes dont il rêve, en particulier d’une femme aux longs cheveux. Incrédulité. Daniel discute avec Hossi Kaley, angolais, aujourd’hui gérant de l’hôtel précité et hier guérillero dans la rébellion de l’Unita, qui lui confie que lui ne rêve plus depuis longtemps mais que, depuis tout aussi longtemps, ce sont les autres qui le voient en rêve, affublé d’une veste violette. Stupeur. Daniel découvre ensuite que l’appareil photo appartient à Moïra Fernandes, mozambicaine, artiste qui rêve la nuit et reconstitue ses rêves le jour pour les mettre en scène et les photographier, et qui s’avère être la femme aux longs cheveux dont rêve Daniel. Battements de coeur. Daniel et Moïra se donnent rendez-vous au Cap, où vit cette dernière. Ils rencontrent par hasard Hélio de Castro, brésilien, neurobiologiste qui rêve d’arriver à filmer les rêves des autres. Il leur propose de participer à son projet de recherche. Méfiance ou enthousiasme, c’est selon.
Le rêve est donc le dénominateur commun qui relie ces quatre personnages et les rassemble dans une expérience au départ purement scientifique, qui va peu à peu muer en « instrument de transformation du monde ». Parce qu’on est en Angola, pays totalitaire à deux doigts d’imploser, parce que la fille de Daniel est une jeune activiste des droits humains qui vient d’être emprisonnée avec quelques comparses pour avoir commis un « attentat » contre le Président. Parce que pour mettre la pression sur ce régime et obtenir la libération de sa fille et des autres jeunes qui se sont mis en grève de la faim, Daniel veut une méthode qui amènerait le peuple angolais à une révolte pacifique et unanime, et que pour cela il faut faire rêver les gens à l’unisson…
« La société des rêveurs involontaires » est une satire politique qui se donne des airs de polar, de roman fantastique et d’histoire d’amour. Mais la charge contre la dictature est virulente. A la brutalité du régime, Agualusa oppose et propose une révolution subtile et onirique : « rêver, c’est comme vivre, mais sans le grand mensonge qu’est la vie« . Partir de l’idée d’un rêve collectif pour renverser une réalité faite de faux-semblants de démocratie et de justice, remplie de violence, de misère et de corruption, et se réapproprier la vie, les idéaux, la pensée, la liberté, cela semble naïf, grandiloquent. Peut-être, mais il n’y a que les rêves pour échapper au contrôle des dictatures… Une fable engagée, pétrie d’humour, de fantaisie et de folie douce, de résistance, d’espoir et de rêves de liberté.

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Le journaliste Daniel Benchimol rêve de gens qu’’il ne connaît pas mais reconnaît dans la mémoire de l’appareil photo qu’’il retrouve sur une plage. Moira Fernandez, une artiste mozambicaine habitant Le Cap, met en scène et photographie ses rêves. Hélio de Castro, un neuroscientifique, les filme. Hossi Kaley, le patron de l’’hôtel Arco-Iris, ancien guérillero au passé obscur et violent, se promène dans les rêves des autres, vêtu d’un costume violet, ce qui va donner à un service secret l’idée de l’utiliser pour manipuler les rêves de la population lors des élections, mais ne l’empêchera pas malgré tout de connaître un grand amour.
Les rêves rassemblent ces quatre personnages dans un pays totalitaire au bord de la destruction, où se réveillent aussi les rêves de liberté de la jeunesse.
Écrite dans un style éblouissant, cette Société des rêveurs involontaires est une histoire d’amour, un récit fantastique, un polar onirique et une vraie satire politique pleine d’humour, qui questionne la nature de la réalité tout en réhabilitant le rêve comme instrument de transformation du monde.

Quelques citations:

– La passion est un moment de folie. Les gens qui se marient par amour devraient être considérés comme irresponsables, et ces mariages devraient être annulés. […] Seuls les gens lucides devraient être autorisés à se marier. Je ne comprends pas, alors qu’il est interdit de conduire en état d’ébriété, pourquoi il n’est pas interdit de se marier ivre ou amoureux fou, ce qui est la même chose. Le mariage n’est pas si différent d’une voiture. Mal conduit, il peut blesser beaucoup de gens, à commencer par les enfants. Si on était lucide, on ne se marierait que par intérêt, comme mes parents.

– Tous les rêves sont inquiétants, parce qu’ils sont intimes. Ils sont ce qu’on a de plus intime. L’intimité est inquiétante.

– Vous avez remarqué que le soleil qui donne des couleurs aux grenades, ou fait dorer la peau après un après-midi à la plage, est le même qui jaunit et efface les photos de notre jeunesse? demandai-je à Hossi. La lumière rehausse les couleurs de tout ce qui vit et décolore ce qui est inanimé. Le soleil allume les vivants et éteint les morts.

– Je n’ai pas peur de l’avion. Je n’en ai jamais eu peur. Je souffre d’un mal plus rare, qui s’en approche: les aéroports m’angoissent. En y pensant mieux, ce ne sont pas les aéroports. C’est la police des aéroports. C’est la police, en général. On sait qu’on vient d’un pays du tiers-monde quand on a plus peur des policiers que des voleurs.

Evaluation :

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