Auteur: Max Aub
Editeur: Editions du Rocher – 2003 (71 pages)
Lu en février 2019
Mon avis: Les Espagnols et les Mexicains parlent la même langue, mais cela ne suffit pas à en faire des amis à la vie à la mort. Demandez donc à Ignacio Jurado Martínez, né en 1918 dans l’Etat de Sonora au Mexique, et éminent mais discret garçon de café dans un bar de Mexico depuis 1938. Modèle du genre, il aime tellement son métier qu’il renonce à son jour de congé hebdomadaire, juste pour le plaisir du service et pour parfaire ses connaissances en écoutant les conversations de ses illustres clients mexicains. Oui mais, que viennent faire les Espagnols dans cette histoire, me direz-vous ? Eh bien figurez-vous qu’Ignacio (Nacho, pour les amis) leur doit son ulcère d’estomac. Tout ça parce qu’en 1939, des flots de républicains espagnols fuyant le franquisme se sont réfugiés au Mexique, et qu’un certain nombre d’entre eux ont pris l’habitude de se retrouver – je vous le donne en mille – au café de Nacho pour y tirer bruyamment des plans sur la comète commençant invariablement par « quand Franco tombera… ». Tellement bruyamment qu’ils font fuir les autres clients et qu’on ne parle plus au café que de politique espagnole, passée-présente-future, à longueur de journées, de mois, d’années, puisqu’en 1959, les choses n’ont toujours pas bougé d’un pouce, les exilés espagnols non plus d’ailleurs. La seule évolution pendant cette période, c’est celle de l’exaspération et de l’ulcère de Nacho. Qui décide de prendre les choses en mains et des vacances… en Espagne, histoire d’y résoudre une bonne fois pour toutes le problème des exilés, et par extension, le sien.
Publié en 1960, écrit par Max Aub depuis son exil mexicain, ce très court texte a été considéré par les services de renseignement espagnols comme un appel à l’attentat contre Franco. Mais ce conte burlesque et cynique est bien plus subtil que cela. Max Aub avait compris que les exilés espagnols au Mexique étaient restés figés en 1939 et resteraient des exilés quoi qu’il advienne, tandis que l’Espagne continuerait d’évoluer sans eux. Plutôt qu’une incitation au meurtre, ce texte irrévérencieux dresse avec sagacité le tableau des relations entre Mexicains et exilés espagnols, les premiers forcés d’accueillir les descendants de leurs colonisateurs, les autres ne regardant que leur nombril de réfugiés tournés vers le passé et la Mère-Patrie.
Une petite perle de fantaisie et de lucidité, découverte grâce aux copines babeliotes Pecosa et Bookycooky. Merci les filles !
Présentation par l’éditeur:
« En 1945, tout semblait arrangé. En fait, il ne se passa rien. Quelques-uns moururent ; d’autres ayant trouvé du travail cessèrent de fréquenter le café ; d’autres enfin arrivèrent : de Saint-Domingue, du Venezuela, du Guatemala, au gré des vicissitudes de la politique caraïbe. La seule chose qui ne changeait pas, c’était le thème et le ton des discussions
– Quand Franco tombera…
– Ça ne peut plus durer.
– Il faut qu’il tombe…
– Tu as lu que…
– C’est une question de jours… «