Auteur: Eshkol Nevo
Éditeur: Gallimard – 2010 (432 pages)
Lu en mai 2020
Mon avis: Juin 1998, Tel-Aviv. La Coupe du Monde de football bat son plein et, comme à chaque édition depuis leur adolescence, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill suivent ensemble les retransmissions des matchs à la télé. Amis depuis le collège à Haïfa, les quatre trentenaires sont restés « les meilleurs amis du monde » malgré le temps qui passe : « Heureusement qu’il y a le Mondial […]. Comme ça, le temps ne se transforme pas en un énorme bloc informe et, tous les quatre ans, on peut ainsi marquer une pause et voir ce qui a changé« . Cette réflexion de Youval, le narrateur, leur donne l’idée de noter, sur des bouts de papier, trois objectifs personnels ou professionnels, qu’ils voudraient avoir réalisés pour la prochaine Coupe du monde. Chacun lit aux autres un de ses trois objectifs, les autres restent secrets, et tous les bouts de papier sont gardés précieusement jusqu’à l’échéance.
Mais évidemment, la vie est ce qu’elle est, c’est-à-dire qu’elle se fiche pas mal de vos rêves et de vos ambitions et n’en fait qu’à sa tête. Et qu’on désire changer quelque chose ou qu’on veuille garder un statu quo et conserver en l’état ce qu’on a eu tellement de mal à réaliser ou obtenir, il suffit d’un rien pour bouleverser tous les projets. Notre bande des quatre n’échappe pas à ces aléas. La mauvaise nouvelle, c’est qu’aucun d’eux n’atteindra son objectif, des coups du sort parfois terriblement cruels se chargeant de détruire l’équilibre et l’harmonie de leurs vies et de leur amitié. La bonne nouvelle, c’est que, en dépit de tout, cette amitié s’avère in fine assez puissante pour rétablir un autre équilibre, différent mais un équilibre quand même, dans lequel chacun d’eux réalisera l’objectif d’un des trois autres. Enfin, cela, Youval est le seul à l’avoir compris avant l’échéance des quatre ans, le seul à avoir vu que tout allait partir à vau-l’eau, et que pour résoudre l’équation, il n’avait d’autre choix que d’écrire un livre, un roman sur une histoire d’amitié entre quatre hommes…
Ce « Cours du jeu… » m’a bouleversée.
En toile de fond, il y a le conflit israélo-palestinien, la deuxième Intifada, les attentats, la rivalité entre Haïfa la provinciale et Tel-Aviv la branchée. Il y a aussi des réflexions sur le travail d’écriture, sur la (re)naissance qu’elle permet, sur la toute-puissance du narrateur qui a le droit d’enjoliver ou travestir la réalité tout en sachant qu’il ne rend jamais compte que de son propre point de vue et qu’une autre personne, toute proche qu’elle soit, aura nécessairement une autre version de la même réalité.
Mais le nœud, le cœur de cette histoire,c’est l’amitié. De ces amitiés dont on voudrait qu’elles durent toujours, auxquelles on s’accroche parce qu’on n’a pas grand-chose d’autre qui nous procure autant d’énergie, de celles qui vous acceptent tel que vous êtes avec bienveillance et sans questions même si vous n’arrivez pas à comprendre ce que vous pouvez bien leur apporter, de celles qu’on voit évoluer avec amertume quand certains avancent dans leurs vies et que vous faites du sur-place : « Ils m’énervaient. De quoi se plaignaient-ils ? Au moins, ils avaient de l’amour. Au moins, il leur était arrivé quelque chose de significatif dans la vie. Et moi ? ». C’est Youval, le solitaire introverti, qui s’exprime ainsi, mais ses mots, peut-être injustes, auraient pu être les miens. Et cela m’a bouleversée parce que, justement, quand vos quelques certitudes sont ébranlées de la sorte, on a la sensation de marcher au bord du vide, d’être sur le point d’être englouti par la solitude comme Jonas par la baleine. A plusieurs reprises je me suis dit que je devais arrêter de lire ce roman, tant je sentais le narrateur glisser sur la mauvaise pente et que je n’avais pas envie d’assister à cette chute. Mais à ce stade, la lecture était devenue addictive et j’ai continué. Bien m’en a pris, parce que la fin n’est pas aussi sombre que je le pensais. Il faut croire qu’il existe quelque chose comme le miracle de l’amitié, qui ne s’explique pas bien, mais qui est là, qui existe quoi que vous pensiez de vous-même, et qui vous (re)tient.
Même si cette histoire d’amitié ne vous parle pas autant qu’à moi, ce roman reste un bonheur de lecture. L’auteur a un énorme talent de conteur et une grande maîtrise de la construction du récit. La narration est très fluide malgré les mouvements dans le temps, il y a du tragique et de l’humour, du burlesque même, de la subtilité et de la complexité, de la profondeur et de la réflexion, une grande finesse et un ton très juste.
Merci, une fois de plus, à Bookycooky (de Babelio) de m’avoir inspiré cette lecture cinq étoiles.
Présentation par l’éditeur:
En 1998, quatre amis trentenaires suivent la Coupe du Monde de football à la télévision. Regarder ces matches ensemble, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill l’ont toujours fait, depuis leur adolescence à Haïfa. Du coup, pendant la finale, l’idée surgit d’en faire un jeu, en utilisant ce rendez-vous rituel comme un point de mire, et de noter sur des bouts de papier les désirs et les ambitions qu’ils aimeraient avoir satisfaits quatre ans plus tard, lors de la Coupe du Monde suivante…
Rien ne se passera comme prévu. Churchill, le plus ambitieux des quatre, se trouve au centre d’un scandale qui met en péril sa carrière de juriste, tandis qu’Ofir, le jeune loup de la publicité, se transforme en chantre de la médecine alternative après un séjour en Inde. Amihaï est engagé presque malgré lui dans un combat humanitaire après la mort brutale de sa femme, alors que Youval, solitaire et indécis, se fera le chroniqueur de ces années où les choix de vie sont décisifs.
Avec un sens certain du tragi-comique et une grande justesse de ton, Eshkol Nevo écrit non seulement sur la société israélienne d’aujourd’hui, mais aussi sur la fragilité de nos existences et la beauté de l’amitié.