Auteur: Stefan Zweig
Editeur: Le Livre de poche – 2013 (128 pages)
Lu en juillet 2021
Mon avis: Sur un paquebot entre New York et Buenos Aires, au début des années 40, le narrateur fait la connaissance de Mirko Czentovic, jeune champion du monde d’échecs, personnage aussi antipathique que rustre et arrogant. Intrigué par l’énergumène, le narrateur se renseigne à son sujet, et c’est ainsi que nous sont livrés la biographie et le parcours atypique du jeune homme.
Malgré ce personnage hors normes, ce court roman serait cependant anodin, sans la survenance d’un événement interpellant : au cours du voyage, un parfait inconnu affronte Czentovic aux échecs, et à la surprise générale, fait jeu égal avec celui-ci. Le narrateur cherche alors à en savoir davantage sur cet homme mystérieux, et voilà un second récit de vie, enchâssé dans le premier. L’inconnu, qui jure ne plus avoir joué aux échecs depuis vingt ans, s’avère être un aristocrate autrichien, torturé par les nazis pendant des mois, et que les échecs ont sauvé de la folie.
La partie d’échecs sur le bateau s’apparente à une allégorie des débuts de la seconde guerre mondiale, Czentovic représentant l’imparable et destructeur rouleau compresseur nazi qui impose une pression physique ou psychologique inouïe à ceux qu’il emprisonne pour en obtenir des informations. L’inconnu du paquebot symbolise quant à lui les opprimés, écrasés par le régime, mais résistant de toute leur force mentale, au bord de la folie, et qui parviennent à trouver l’échappatoire dans un recoin de leur cerveau.
Construit sur un schéma similaire à celui de « Vingt-quatre heures de la vie d’une femme« , « Le joueur d’échecs » aborde également le thème de l’addiction au jeu mais pousse plus loin dans la souffrance. Entre enfermement et ouverture, rationalité et déconnexion mentale, l’addiction est ici causée par la torture de l’isolement absolu. Salvatrice dans un premier temps, elle ne cesse cependant de faire planer sur sa victime le spectre d’une rechute fatale.
Bijou d’analyse et de tension psychologiques, tout en pudeur et concision et suscitant l’empathie, « Le joueur d’échecs » est le dernier livre de Stefan Zweig, qui s’est donné la mort en février 1942, désespéré devant la folie des hommes.
Présentation par l’éditeur:
Qui est cet inconnu capable d’en remontrer au grand Czentovic, le champion mondial des échecs, véritable prodige aussi fruste qu’antipathique ? Peut-on croire, comme il l’affirme, qu’il n’a pas joué depuis plus de vingt ans ? Voilà un mystère que les passagers oisifs de ce paquebot de luxe aimeraient bien percer.
Le narrateur y parviendra. Les circonstances dans lesquelles l’inconnu a acquis cette science sont terribles. Elles nous reportent aux expérimentations nazies sur les effets de l’isolement absolu, lorsque, aux frontières de la folie, entre deux interrogatoires, le cerveau humain parvient à déployer ses facultés les plus étranges.
Une fable inquiétante, fantastique, qui, comme le dit le personnage avec une ironie douloureuse, « pourrait servir d’illustration à la charmante époque où nous vivons ».