jeudi , 25 juillet 2024

Nourrir la bête

Auteur: Al Alvarez

Éditeur: Métailié – 3 juin 2021 (144 pages)

Lu en mai 2021

Mon avis: Mo Anthoine (1939-1989) était un alpiniste britannique chevronné, qui n’a jamais voulu devenir professionnel, et qui, pour cette raison, est toujours resté dans l’ombre de certains de ses compagnons de cordée beaucoup plus médiatisés. Mo Anthoine n’avait cure de la célébrité et des feux de la rampe, pour lui, l’amitié comptait bien davantage : « Chaque fois que j’organise une expédition, je veux y aller avec mes potes. Lorsque les jeunes cracks de la grimpe choisissent leur équipe, ils regardent invariablement le palmarès et l’expertise technique au lieu de s’intéresser aux gens eux-mêmes. Du coup, s’ils arrivent au sommet, ils feront la une de Mountain, et puis voilà – terminé. Mais si tu es parti en expédition avec des super gars, tu t’en souviens pendant des années. Même en Grande-Bretagne, je ne grimpe pas avec des gens que je ne connais pas, parce que je n’en tire aucun plaisir« . L’amitié, le dépassement de soi, chercher sa dose d’adrénaline sans pour autant se mettre en danger de manière déraisonnable, prendre des risques mais sans jouer les têtes brûlées – un bon grimpeur est un grimpeur vivant : « La vérité, c’est que j’aime les climats qui ne pardonnent rien et où la moindre erreur se paie. C’est ça qui me fait vibrer. […] Ça fait un bien fou. Je crois que c’est parce qu’il y a toujours un point d’interrogation sur ta performance. Tu te fais une idée de toi-même et ça peut être un sacré choc quand tu ne réponds pas à tes propres attentes. Si tu te contentes de faire ton petit bonhomme de chemin, tu peux penser que tu es un sacré gaillard, jusqu’à ce que les choses aillent de travers et que tu découvres que tu n’es pas du tout ce que tu croyais. Mais si tu te mets délibérément dans des situations difficiles, tu as une assez bonne idée de ta trajectoire. C’est pour ça que j’aime nourrir la bête. C’est une sorte de bilan annuel sur moi-même. La bête, c’est toi, en réalité. C’est l’autre toi, et elle est nourrie par le toi que tu crois être. Et ce sont souvent des gens très différents. Mais quand ils se rapprochent l’un de l’autre, c’est génial […] il faut continuer de nourrir le monstre, juste pour ta paix intérieure. […] Mais passer l’arme à gauche sans savoir qui tu es ni de quoi tu es capable, il n’y a rien de plus triste à mes yeux« .

Al Alvarez tire ainsi le portrait de son ami, un homme hors du commun qui a tutoyé les sommets mythiques de la planète, de l’Amérique du Sud à l’Himalaya en passant par le Pays de Galles et les Alpes, qui a failli y laisser la vie plusieurs fois, et qui en a sauvé plusieurs autres. Un type extraordinaire mais modeste et simple qui, quand il ne court pas les montagnes, fait prospérer avec sa femme son entreprise de matériel d’alpinisme ou va jouer les doublures de Stallone dans Rambo III.

Entre expéditions épiques et détails de la construction laborieuse de sa propre maison, j’ai découvert une personnalité en acier trempé, dont je n’avais jamais entendu parler. Je ne connais quasi rien à l’escalade, je lui préfère de très loin la randonnée, et j’aime la montagne, sa beauté, sa puissance et son immensité. C’est pourquoi j’étais curieuse de lire ce portrait et de rêver aventure et paysages grandioses.

Je reste un peu sur ma faim, parce que si le livre, qui se lit très vite, est intéressant, j’ai trouvé qu’il était trop anecdotique, factuel et technique, et ne creusait pas assez la psychologie du personnage. Le style m’a semblé assez quelconque, ce qui est dommage pour un auteur présenté d’abord comme un poète. Heureusement, quelques traits d’humour anglais donnent un peu de relief à ce « portrait d’un grimpeur ».

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Durant presque trente ans, Mo Anthoine a grimpé les sommets mythiques du monde entier – des Alpes à l’Everest, de l’Argentine à l’Écosse –, mais n’a jamais voulu devenir professionnel : pour lui, boire des pintes avec ses potes était plus important que faire la une des journaux. Avec lui nous découvrons un adolescent parti de chez lui en stop vers la Nouvelle-Zélande avec seulement 12 £ en poche, un grimpeur chevronné participant aux expéditions les plus difficiles, un type qui a été la doublure de Sylvester Stallone dans Rambo III et un homme qui sent et qui décrit l’escalade comme « l’art de jouer aux échecs avec son propre corps ».

Al Alvarez, écrivain et poète admiré par des auteurs comme Philip Roth, Sylvia Plath, John Le Carré et J. M. Coetzee, et grimpeur lui-même, nous livre ici les coulisses et le vertige des grandes et petites expéditions – dont certaines dignes d’un blockbuster –, tout en nous montrant comment les grands aventuriers cherchent leurs limites, mentales et physiques, en s’appliquant à « nourrir la bête ».

Un livre culte sur l’escalade, la montagne, l’évasion et l’amitié, traduit pour la première fois en français. Une prose étincelante au service du goût de l’aventure, du risque et de la camaraderie.

Evaluation :

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