Auteur: George Bernard Shaw (prix Nobel de littérature 1925)
Editeur: L’Arche – 1997 (168 pages)
Lu en 2014
Mon avis: Avant d’entamer la présente chronique, j’ai commis la grande erreur de lire la critique de Nastasia-B sur www.babelio.com. Me voilà bien marrie : c’est tellement bien écrit, tellement complet, que je ne sais plus quoi rédiger. Nastasia, vous m’enlevez les mots du stylo ! 😉 Mais bon, c’est plus fort que moi, je m’en vais donc ajouter mon petit grain de sel…
Pièce de théâtre en cinq actes et 165 pages, le format est court et pourtant il brasse une foultitude de thèmes et de questions dont certains auteurs, coutumiers de pavés de 600 pages aussi creux qu’un tambour, feraient bien de s’inspirer. Mais c’est là une autre histoire.
Et donc nous avons trois personnages principaux : Eliza, jeune vendeuse de fleurs sur le pavé londonien, qui n’a pour elle que sa jolie figure. Ni argent, ni éducation, ni culture, et un langage de charretière embourbée dans les ornières des bas quartiers de Londres début 20ème siècle. C’est d’ailleurs ce qui éveille l’intérêt du professeur Higgins, spécialiste ès phonologie, capable de vous dire quelle rue de Londres vous habitez rien qu’à votre façon de bâiller (ou presque). Avec son compère le colonel Pickering, spécialiste des dialectes des Indes, il se met au défi de transformer Eliza en jeune fille distinguée, en lui apprenant à s’exprimer « dans le meilleur anglais » de la bonne société londonienne. La relation qui s’installe entre Higgins et Eliza tient moins du lien « maître-élève » que du rapport « savant fou-objet d’expérimentation ». Higgins ne s’embarrasse guère de pédagogie, et encore moins d’empathie à l’égard de son cobaye, qui rêve seulement de parler assez correctement que pour pouvoir être embauchée chez un fleuriste ayant pignon sur rue.
Et, comme dans les laboratoires où on teste des médicaments sur des petits lapins sans se préoccuper du bien-être de ces pauvres bestioles innocentes, on se demande quelles seront les conséquences de cette « expérience » sur Eliza. Et puis… Suffit-il de s’exprimer dans un langage « châtié » pour s’élever dans l’échelle sociale ? Et d’ailleurs, qu’est donc cette échelle sociale si convenue, et faut-il absolument y grimper ? Certes nous aspirons tous à un confort matériel, mais est-ce là l’unique but d’une vie ? Et que ressent-on à toucher du doigt une vie rêvée, juste avant que la porte ne s’en referme brutalement sur nos phalanges ?
Bernard Shaw, contrairement à un Higgins totalement dépourvu de psychologie, nous expose avec un humour corrosif les rapports complexes qu’entretiennent ces personnages. Si Pygmalion est une pièce par moments franchement drôle, elle est aussi un peu cruelle, et propose un dénouement inattendu, bien loin des happy-ends hollywoodiens. Mais après tout, est-ce là ce qu’on attend d’un prix Nobel ?
PS : le thème de l’éducation comme ascenseur social m’évoque l’ouvrage « La névrose de classe » (V. de Gaulejac) http://www.geneasens.com/dictionnaire/nevrose_de_classe.html
Présentation par l’éditeur:
Pygmalion est, selon Ovide un sculpteur qui tombe amoureux d’une statue d’ébène qu’il a lui-même créée. Vénus, la déesse de l’amour, est indulgente avec sa passion et rend la belle statue vivante. Pour Bernard Shaw, c’est le professeur Higgins qui incarne Pygmalion. Higgins n’a pas besoin d’amour. Il se passionne pour les différences de classes et choisit la vendeuse de fleurs Eliza comme modèle. Grâce à une meilleure prononciation, le professeur pense en faire une dame de la société. L’essai réussit mais Eliza s’émancipe et prend sa revanche sur Higgins. Bernard Shaw fut « le chef de fil du commando qui nettoyait les débarras de l’ère victorienne » dixit John Priestley. L’ironie et l’humour de l’auteur sont proverbiaux et l’aspect pédagogique de la pièce n’a pas perdu son charme. Plusieurs films ont été tournés à partir de Pygmalion. Le premier, réalisé par Anthony Asquith et Leslie Howard, fut pour Shaw l’occasion de remanier le texte de la pièce. C’est cette dernière version, publiée en 1941, qui est traduite ici.