vendredi , 29 mars 2024

Une terre d’ombre

Auteur: Ron Rash

Grand Prix de littérature policière étrangère 2014

Editeur: Points – 2015 (274 pages)

Lu en septembre 2015

une terre d'ombreMon avis: Il ne faudrait pas vous y méprendre : si ce roman a bien reçu le Grand Prix de littérature policière étrangère en 2014 (comme l’indique le fin bandeau au bas de la couverture de l’édition de poche), il n’a que peu de points communs (pour ne pas dire aucun) avec les livres qu’on range généralement sous l’étiquette « roman policier » (thrillers à suspense, polars sanguinolents ou enquêtes criminelles sordides). Amateurs du genre, vous voilà prévenus.
En effet, même si le prologue laisse supposer qu’une mort violente a eu lieu dans ce vallon perdu au coeur des Appalaches, celle-ci n’est pas le déclencheur d’une enquête pour meurtre, mais plutôt le point final d’une tragédie qui s’est jouée bien des années plus tôt.
Une tragédie nouée dans un décor maudit, un recoin de la chaîne des Blue Ridge, non loin de la petite ville de Mars Hill en Caroline du Nord. Ce vallon isolé, si encaissé qu’il laisse à peine passer les rayons de soleil même au plus fort de l’été, semble causer le malheur de ses occupants. La famille Shelton n’a pas été épargnée par ce qui ressemble à une malédiction : quelques années après leur installation dans cet endroit sinistre et humide, inhospitalier, les parents meurent, laissant Laurel et Hank orphelins, abandonnés à un sort peu enviable. D’autant que Hank, appelé sous les drapeaux de 14-18, reviendra vivant, mais avec une seule main. Quant à Laurel, avec sa tache de naissance sur le cou, elle subit depuis longtemps les regards blessants et les commentaires superstitieux de ceux qui la croient sorcière. En dépit de la bienveillance de l’institutrice à l’égard de sa meilleure élève, Laurel a dû se résigner à abandonner l’école, sous la menace des autres parents qui craignaient obscurément un mauvais sort pour leurs rejetons. Courageuse mais lucide, accablée de solitude, Laurel désespère de voir sa vie vraiment commencer un jour. Et puis un miracle survient, qui met sur son chemin un homme mystérieux, égaré, ne sachant ni parler, ni lire, ni écrire, mais jouant de la flûte comme personne. Et ce qui devait arriver arrive, fatalement, dira-t-on, puisque le Destin ne laissera décidément pas en paix les habitants du vallon.
Sur fond de Première Guerre mondiale finissante, de patriotisme souvent mal placé et de haine viscérale et parfois irrationnelle envers tout ce qui est allemand ou s’en approche, voici une histoire magnifiquement écrite et construite, belle mais terriblement triste, désespérante et déchirante tant les personnages (Laurel, Hank, Walter, Slidell, Miss Calicut) sont attachants. Un roman sombre, mais pas tout à fait noir, parce qu’il livre le portrait lumineux d’une jeune femme brimée par les médisances, et l’histoire simple, évidente, d’un amour aussi inespéré qu’attendu mais qui, pour le malheur des protagonistes, a vu le jour dans un contexte hostile saturé de préjugés et de bêtise. Et on comprend que l’ombre, un temps dissipée par la douceur de la musique et les couleurs des perroquets de Caroline, s’en reviendra bien vite…

Présentation par l’éditeur:

Laurel Shelton et son frère Hank vivent au fond d’un vallon encaissé des Appalaches. Marquée par une tache de naissance, Laurel est considérée comme une sorcière. Hank, revenu de la Première Guerre mondiale, y a laissé une main. Isolés, bannis, ils mènent une vie fastidieuse et solitaire. Mais lorsque Laurel rencontre un mystérieux joueur de flûte, sa vie bascule.

Evaluation :

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6 commentaires

  1. Voilà un roman qui a l’air bien sympathique à lire malgré les thèmes plutôt sombres.

  2. Voici un roman attirant malgré le thème plutôt sombre.

  3. Une belle découverte. Je ne connaissais pas.

  4. Je suis attirée par les livres de Ron Rash et angoissée au cours de ma lecture. Un peu comme les années vécues en Lozère. Il y a de la violence retenue ou pas, cette oppression, le côté sauvage et agressif des habitants. J’ai arrêté de me faire du mal il y a peu de temps, mais j’apprécie ta critique !

    • Merci! moi je dois être un peu maso, parce que j’aime bien ce genre d’ambiance, où on sent dès le début que ça va mal finir, et qu’on se demande de quelle manière cela va arriver. J’aime bien aussi la montée de tension qui fait qu’on n’a pas envie de lâcher le bouquin, et qu’on est pour un moment déconnecté du monde extérieur. Je n’ai pas encore lu d’autres romans de R. Rash, mais celui-ci je l’ai trouvé par moments assez lumineux, contrairement par exemple à Sukkwan Island, où le malaise est présent à chaque page.
      Et puis, comme je disais en répondant à ton commentaire sur « les gens », je ne crois pas trop aux happy ends 😉