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L’intérêt de l’enfant

Auteur: Ian McEwan

Editeur: Folio – 2017 (240 pages)

Lu en octobre 2019

Mon avis: L’intérêt de l’enfant est une notion juridique, à la fois évidente et vague. Dans les affaires familiales, il tombe sous le sens que le juge tranche en faisant le plus grand cas de l’intérêt de l’enfant. Mais comment se définit-il, cet intérêt ? A-t-il un contenu fixe, évolutif, relatif ? Où commence-t-il et où s’arrête-t-il ? Et qui est-il, ce juge, pour prétendre savoir, mieux que l’enfant lui-même ou ses parents, ce qui est bon pour lui ? Evidemment, le magistrat s’appuiera sur son expérience, sa sagesse, le bon sens et la jurisprudence. Peut-il éviter de faire intervenir dans l’affaire sa sensibilité, forcément subjective ? Peut-être est-ce souhaitable, d’ailleurs ?
Le roman de Ian McEwan illustre bien la complexité de ces questions. Fiona Maye, 59 ans, brillante magistrate londonienne spécialisée dans les affaires familiales, est confrontée au cas d’Adam, jeune homme leucémique de 17 ans, donc mineur. Celui-ci a besoin d’une transfusion sanguine pour survivre, mais ses parents, témoins de Jéhovah, s’y opposent au nom de leurs croyances. Les médecins ont donc saisi la justice. Après avoir entendu les arguments des deux parties, Fiona, qui doit statuer dans l’urgence, décide de rencontrer Adam à l’hôpital. Une rencontre déstabilisante, face à un adolescent précoce mais pas encore adulte, sensible et intelligent, avec les mêmes convictions que ses parents. C’est tout le nœud du problème : l’intérêt de l’enfant peut-il aller à l’encontre de la volonté de celui-ci, précisément parce qu’il est mineur, alors qu’un adulte, au nom de la liberté de conviction, aurait parfaitement le droit de refuser le traitement médical qui lui sauverait la vie ? Fiona tranchera dans le vif, en âme et conscience, avec le professionnalisme et la passion du métier qui la caractérisent. Des qualités qui, depuis un certain temps, mettent d’ailleurs en péril sa propre vie de couple. Troublée par sa rencontre avec le jeune malade et par l’ultimatum posé par son mari, elle tente de surnager en s’accrochant à ses dossiers, mais sa décision sur le cas d’Adam aura des répercussions inattendues et bouleversantes.
Ce roman est un pur délice pour la juriste que je suis, tant le raisonnement de Fiona dans son jugement est exposé avec limpidité, rigueur, logique et simplicité, loin d’un obscur jargon juridique. Mais il ne se limite pas à ça. Il montre comment la froideur et l’apparente simplicité d’une norme de droit entrent en collision frontale avec la complexité et la subjectivité des croyances, des sentiments et des comportements humains. Ian McEwan sonde en profondeur les trois pôles de ce roman (famille, couple, système judiciaire) avec une égale intelligence et une grande finesse d’analyse. L’empathie de l’auteur pour ses personnages et la touche de poésie achèvent de faire de ce texte un roman puissant et maîtrisé de bout en bout.

Présentation par l’éditeur:

Fiona Maye, juge spécialisée en droit de la famille, est passionnée par son travail. Elle en délaisse son mari, surtout depuis l’affaire Adam Henry. Cet adolescent de dix-sept ans est atteint de leucémie, mais les croyances religieuses de ses parents interdisent toute transfusion sanguine. Les médecins s’en sont remis à la cour. Après avoir entendu les deux parties, Fiona se rend à l’hôpital. Mais la rencontre avec Adam s’avère troublante et, indécise, la magistrate peine à rendre son jugement…

Dans ce court roman, Ian McEwan allie avec justesse la froideur de la justice à la poésie qui imprègne ses personnages. Dans un style limpide, il crée une ambiance oppressante et déploie une étonnante complexité thématique. Les certitudes se dérobent : où s’arrête et où commence l’intérêt de l’enfant ?

Evaluation :

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