Auteur: Horacio Castellanos Moya
Editeur: Métailié – 13 février 2020 (320 pages)
Lu en janvier 2020
Mon avis: En 1944, le Salvador est entre les mains de Maximiliano Hernández Martínez, un dictateur surnommé « le sorcier nazi », en raison de son penchant à diriger le pays en fonction du résultat de ses séances de spiritisme. Le journaliste Pericles, son ancien secrétaire et désormais l’un de ses plus féroces critiques, est, une fois de plus, emprisonné. Peu de temps après, un coup d’Etat est monté contre le dictateur, mais échoue lamentablement. Clemente, le fils de Pericles, est impliqué dans cette rébellion, et doit désormais se cacher pour éviter des représailles impitoyables. Entre son mari en prison et son fils en cavale, Haydée, issue d’une famille de la haute bourgeoisie, tente de maintenir sa maisonnée et le reste de la famille à flot.
Comme dans « Effondrement« , Moya utilise trois styles narratifs différents. Dans son journal, Haydée raconte son quotidien par le menu, ses visites à la prison, les événements politiques et leurs conséquences sur son mari, son fils et la famille (dont une partie est plutôt libérale et l’autre plutôt pro-militaires). Malgré ses angoisses et ses inquiétudes, elle explique comment sa conscience politique s’éveille progressivement au contact des femmes d’autres prisonniers, jusqu’à œuvrer discrètement en faveur de la rébellion. Le journal alterne avec les épisodes rocambolesques de la fuite de Clemente, dans un style très dialogué et scénarisé. La dernière partie, en guise d’épilogue, est racontée à la première personne du singulier, avec plus de lenteur, et prend le recul imposé par les 30 années passées depuis le coup d’Etat.
Avec « La mémoire tyrannique« , Moya ajoute un volume supplémentaire à sa « Comédie inhumaine », imbriquant une nouvelle fois l’histoire dramatique du Salvador et celle tout aussi chahutée de la famille Aragón. Et une nouvelle fois, il excelle dans l’art de croquer des personnages presque ordinaires, ni très lâches ni très courageux, soudain confrontés à la « vraie vie », telle qu’on peut la concevoir au Salvador. Le ton tragique du journal de Haydée est contrebalancé par le côté burlesque et ironique de l’exil de Clemente. Mais cet humour est noir, et ce pays, qui semble voué à une sauvagerie sans fin (aujourd’hui les gangs mafieux ont remplacé les dictatures et les guerres civiles), ne retient décidément rien de son passé.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Présentation par l’éditeur:
1944. Lorsque Périclès, un avocat critique du gouvernement du « sorcier nazi », le dictateur salvadorien, est arrêté et emprisonné, sa femme Haydée, une jeune femme de la bonne bourgeoisie, décide d’écrire le journal des événements. Pendant qu’elle note ce qu’elle considère comme des conversations avec son mari – qui avant de devenir opposant a été collaborateur du régime –, elle raconte les progrès des arrestations, les interdictions de visite au pénitencier ainsi que ce qui se passe pour le reste de la famille, composée d’un côté de militaires, soutien du régime, et de l’autre des libéraux, opposés au tyran. Sur ce, un coup d’État contre le dictateur éclate, son fils Clemente, le fêtard, le coureur, l’ivrogne, est impliqué et raconte ce qui se passe chez les conspirateurs. Ses aventures parfois désopilantes alternent avec l’éveil de la conscience politique de Haydée, qui organise la rébellion avec d’autres femmes : épouses, filles, petites-filles, voisines, domestiques.
Un grand roman de Castellanos Moya, une riche combinaison de voix et de registres littéraires, du journal intime à l’action cinématographique, en même temps qu’une prodigieuse incarnation de l’histoire d’un pays dans les destins d’une famille, un épisode fondateur : le début de La Comédie inhumaine de l’auteur.