lundi , 18 mars 2024

Môôôsieur Philippe

Auteurs: Philippe Le Cloerec, Marie Loison-Leruste et Berk Senturk

Editeur: Editions Baromètre – 2021 (119 pages)

Lu en octobre 2021

Mon avis: Philippe, 65 ans, est SDF à Paris depuis plusieurs années. Les gens du quartier se sont habitués à sa présence devant la boulangerie, l’un d’eux l’invite de temps à autre à dîner chez lui, entre voisins. C’est de cette rencontre qu’est née l’idée de cet ouvrage hybride, roman (autobio-)graphique dans sa première partie et essai sociologique sur le « sans-abrisme » dans la seconde.

C’est avec toutes les nuances de gris et quelques traits de bleu ciel qu’on parcourt l’histoire de Philippe, découvert tout bébé dans une poubelle par des éboueurs. Placé en famille d’accueil à l’âge de 2 ans et jusqu’à ses 21 ans, il y sera maltraité par sa mère adoptive. A 17 ans, il est embauché à l’usine, mais quand celle-ci a dû fermer, il s’est retrouvé à la rue. S’ensuivent des hauts et des bas entre Bretagne et Paris, entre boulots instables et relations amoureuses mouvantes, d’appartements en foyers temporaires et abribus, en passant par la case hôpital. Tout n’est pas totalement noir au cours de cette vie chaotique, Philippe aura eu des amis, des petites copines, des compagnes. Quelques belles rencontres et quelques moments de stabilité qui ne compensent pas l’hyper précarité d’une vie invisibilisée, quasiment impensable pour tout qui a la chance de vivre bien à l’abri dans sa chaumière.

Et pourtant, des Philippe, il y en a des milliers, chacun avec une histoire de vie différente. C’est ce qui rend délicate l’étude globale du phénomène de l’exclusion : la catégorie « sans domicile » n’est pas homogène, mais regroupe au contraire une multitude de parcours de vie. La seconde partie du livre propose, à partir de l’histoire individuelle de Philippe, une mise en contexte synthétique, en pointant les facteurs de risque (enfance difficile, difficultés familiales et économiques, parcours migratoire, isolement) qui créent le cercle vicieux de la fragilité et de la perte du lien social. L’étude analyse également les conséquences du sans-abrisme sur la santé physique et mentale et sur l’accès aux soins, et attire l’attention sur la situation spécifique des femmes sans domicile, peu étudiée jusqu’ici. Il y est aussi question de l’aide, institutionnelle ou non gouvernementale, aux SDF, des difficultés et des « usages » de la « carrière » de mendiant, et enfin, de l’attitude ambiguë de la société, entre rejet et compassion, à l’égard des SDF.

Un ouvrage très intéressant, qui passe d’une histoire individuelle émouvante et interpellante à un essai solidement étayé et un aperçu général du phénomène du sans-abrisme. Et qui laisse songeur quant à notre rapport à l’autre, et à la manière dont on tisse ou pas le lien social.

En partenariat avec les Editions Baromètre.

PS : première lecture pour moi d’un ouvrage qui utilise l’écriture inclusive. Bilan de l’expérience : le regard butte sans cesse sur le point médian, c’est très désagréable.

Présentation par l’éditeur:

Cette histoire est celle de Philippe, sans domicile fixe depuis plusieurs années. Lui que les éboueurs ont retrouvé dans une poubelle quelques jours après sa naissance. Lui qui a plusieurs vies en une. Lui qui est devenu la coqueluche d’un quartier parisien, s’est retrouvé en fauteuil roulant et maintenant, remarche et repisse droit.
Raconter son histoire c’est faire caméra embarquée dans la vie d’un homme, permettre de lier passé et présent, mais aussi comprendre son courage, sa tristesse, ses rêves et ses peines. Au travers de l’histoire de Philippe, il s’agit de mettre en lumière toute une classe sociale que la société capitaliste veut rendre invisible. Se rendre compte que dans chacune de nos rues (sur)vivent des gens qu’on ne connait pas : acteurs invisibles qui demandent si peu et parfois donnent tout, y compris leur vie.
Ce court récit autobio – graphique est prolongé par une étude sociologique qui développe les thématiques principales dégagées par la vie de Philippe. Une mise en contexte objective qui permet de mieux appréhender le phénomène d’exclusion et confronter certaines des idées reçues. Replacer l’individuel dans l’universel, tel est l’objectif de cet ouvrage inédit par sa forme et son contenu.
C’est aussi le moment d’évoquer le lien social, ce fameux tissu dont on parle tout le temps, mais qu’on n’arrive plus à définir ou à retrouver et dont on sent qu’il se déchire. Ce lien qui se perd à force d’individus tournés sur eux-mêmes, pris dans la spirale consumériste. On reconnait la maturité d’une société à la façon dont elle traite ses indigents. L’histoire de Philippe dévoile ce fait social. Alors, racontons-le.

Evaluation :

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