lundi , 20 mai 2024

Né un mardi

Auteur: Elnathan John

Editeur: Métailié – Rentrée littéraire hiver 2018 (272 pages)

Lu en décembre 2017

Mon avis: Ami.e lecteur/trice, je voudrais que tu te souviennes de ton enfance. J’espère pour toi qu’elle fut un temps d’innocence, pleine de Bisounours, de chevaliers et de princesses, sans autre traumatisme que les escarmouches entre cowboys et Indiens, policiers et voleurs. Ca y est, tu visualises ? Maintenant, laisse-moi te prévenir, tu vas te prendre une baffe. Je t’emmène en Afrique, dans le nord-ouest du Nigéria, région pauvre majoritairement musulmane. Focus sur le bled (fictif?) de Bayan Layi, zoom sur, ou plutôt sous, le baobab de la place. C’est bon, tes yeux se sont habitués à la lumière et à l’ombre ? Tu distingues un groupe de gamins. Observe bien, et tu verras qu’ils ne jouent pas au foot ou aux billes. Ils y vivent sous des cartons, y fument de l’herbe, se racontent leurs exploits machette au poing. Parmi eux, Dantala (« né un mardi » en langue haoussa). Envoyé très jeune à l’école coranique par ses parents (pour échapper à la pauvreté?), il s’est révélé être un élève studieux et doué, mais cela ne l’a pas empêché de se retrouver à la rue une fois ses études terminées. Violence quotidienne banale, survie et fatalisme (« tout ce qui arrive est la volonté d’Allah »), petits « boulots » pour le compte du Petit Parti à l’approche des élections (incendies, passages à tabac d’adversaires politiques et plus si affinités), forcément, un jour tout ça tourne mal. Emeutes, policiers et voleurs, Dantala s’enfuit pour sauver sa peau. Il échoue à Sokoto, capitale d’un des états fédérés du pays. Plus de baobab ni de fraternité urbaine, mais toujours la violence et l’indifférence. Cette fois il faut se battre pour grappiller la nourriture et l’argent distribués par on-ne-sait-trop quelle chapelle, non loin d’une mosquée salafiste. Très vite, Dantala est repéré par l’imam de cette mosquée, qui le prend sous son aile. Le gamin est naïf mais curieux et intelligent. Il lit tout ce qui lui tombe sous les yeux. Au fil du temps, il s’acharne à apprendre l’anglais, à se servir d’un ordinateur. Il se voit même confier l’appel à la prière, où il trouve une paix inespérée : « chanter ces mots peut me procurer la meilleure sensation du monde, une sensation qui chasse toute douleur, toute peur, toute inquiétude, tout désir ». Et Allah sait qu’en ce début de 21ème siècle, le pays est troublé : tensions religieuses entre salafistes modérés et radicaux (même si Boko Haram n’est jamais explicitement évoqué), entre chrétiens et musulmans, corruption du pouvoir, alliances politiques opportunistes, épidémies et pauvreté. Alors que Dantala, qui semble promis à la succession de l’imam, est lui-même aux prises avec les troubles de l’amour et de l’amitié, forcément, un jour tout ça tourne mal. Parce que dans ces moments de ténèbres, les uns ne tolèrent pas l’ouverture d’esprit, et les autres, qui confondent fondamentalisme et islam, n’y croient pas.

Pour un premier roman, voilà une belle réussite. Difficile de ne pas être touché par le personnage de Dantala (les retrouvailles avec sa mère, emmurée dans sa douleur, sont bouleversantes – je me comprends), petit gars pas méchant, foncièrement honnête et croyant, catapulté à la case « adulte » sans passer par l’enfance. Son histoire et celle de son pays sont tragiques et pourtant l’humour affleure, sans doute grâce au ton ingénu qu’il utilise. Une histoire terrible, qui suinte la vie malgré la mort omniprésente, un roman secouant sur le monde comme il va (ou pas) au Nigéria, où, entre le radicalisme et la corruption s’infiltrent quelques gouttes de tolérance et d’espoir.

En partenariat avec les éditions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Dantala vit dans la rue avec les voyous de Bayan Layi, fume la wee-wee sous le baobab, fait le coup de poing pour le Petit Parti. Souvent, les bagarres tournent mal mais, comme on dit, tout ce qui arrive est la volonté d’Allah. Un soir d’émeutes, pris en chasse par la police, il doit s’enfuir.
Sans famille, il trouve refuge à Sokoto auprès d’un imam salafiste. Il apprend l’anglais avec son ami Jibril, tombe amoureux, psalmodie l’appel à la prière, lit tout ce qu’il peut. Le gamin naïf mais curieux découvre l’étendue de ses contradictions et la liberté de la pensée, et gagne sa place et son nom dans un monde chaotique et violent. Alors que les tensions entre communautés ne cessent de croître, un imam irascible fait sécession et part à la campagne fonder une secte extrémiste.
Loin de l’exotisme et du tiers-mondisme bien-pensant, Elnathan John nous emmène dans une région dont on ignore presque tout : harmattan, poussière des routes, vendeurs de koko, et le goût du dernier morceau de canne à sucre – le meilleur. On brandit des machettes, on assiste à des matchs de lutte, on prend toutes sortes de transports, on marche, on court, on aime, on est Dantala de bout en bout, passionnément. Un formidable roman d’apprentissage, sensible et poignant, dont on sort complètement retourné.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. On ne choisit pas sa famille, on ne choisit pas non plus les trottoirs de Manille ou d’Alger pour apprendre à marcher… oui, inevitablement j’ai pensé à cette chanson. Une enfance volée !