Quand j’étais petite, j’avais une passion pour les pinces à linge.
A ma grande tristesse, je ne pouvais m’y adonner qu’un mois par an, quand nous allions en vacances en Espagne, chez ma grand-mère.
Chez nous, à la maison, il n’y avait pas de pinces à linge. Il y avait une machine à laver, et un sèche-linge. Je le détestais, celui-là, le sournois, le silencieux, le parfait, l’ennemi qui me privait de mon jeu préféré. Avec lui, l’humidité d’une chaussette ou d’un mouchoir n’avait pas la moindre chance de survie, pas le moindre espoir de flotter librement au grand air sur la corde à linge.
Quand on allait faire les courses au magasin avec ma maman, je lui avais souvent demandé de m’acheter des pinces à linge, pour jouer. Chaque fois, elle m’avait répondu que cela ne servait à rien, que le linge séchait dans la machine, que j’avais des tas d’autres jouets.
Alors chaque année, quand le départ en vacances approchait, mon impatience grandissait. Non seulement on quittait la maison pour cette autre maison lointaine où j’étais en même temps chez moi et dans un pays étranger, mais on allait aussi retrouver abuela, cette grand-mère qui ne parlait pas français mais qui me comprenait quand même.
Il n’y avait jamais eu aucun jeu, aucun jouet, dans sa maison. Elle n’avait pas eu le temps pour ça, ses enfants non plus. Et aujourd’hui qu’il y avait des petits-enfants, ils s’amusaient avec tout et n’importe quoi. Mon cousin bricolait dans l’ancien atelier de mon grand-père, ma cousine s’amusait avec les pommes de pin entassées pour le poêle à bois.
Moi, c’était les pinces à linge.
Ici il n’y avait pas de sèche-linge, même pas de machine à laver, juste le lavoir au bord de la rivière.
Quand ma grand-mère revenait avec sa bassine pleine de linge mouillé sur sa tête, j’allais chercher le panier de pinces à linge, et je les lui passais une à une pour qu’elle puisse suspendre les tabliers et les foulards sur la corde tendue entre deux poteaux derrière la maison.
Et puis, comme il y avait toujours trop de pinces, ou pas assez de linge, je m’installais sur une couverture posée dans l’herbe, et je jouais avec celles qui restaient. Elles étaient en bois, couleur naturelle, parfois un peu déformées, le ressort un peu tordu. Certaines décolorées ou rouillées par l’humidité, d’autres, toutes neuves, encore un peu dures à ouvrir.
J’y voyais des personnages, des vieux, des jeunes, avec des caractères différents, robustes, doux, pinçants quand un ressort farceur refermait les deux bouts de bois sur l’un de mes doigts. Il y avait parfois un personnage un peu plus agressif, qui m’en voulait pour je ne sais quelle raison, et qui me plantait une écharde dans la main. Mais le drame ne durait jamais longtemps : mon abuela arrivait à mon secours avec une pince à épiler.
Malgré ces petits dangers, elle n’a jamais acheté de pinces à linge en plastique, ni de sèche-linge d’ailleurs.
Très joli texte. On s’y croirait. Et ce sont ces petits détails qui font la saveur des romans que je préfère.
Merci Caroline! 🙂
Très belle narration. Les pinces à linge, en pays hispanique, sont parfois appelées « perros » cad « chiens » car elles mordent.
Pour ma part, j’ai beaucoup joué avec la boite à boutons (précurseurs des Lego ?, en moins chers que les Jeux Jura).
Belle journée à vous.
Merci pour votre commentaire, Pomme, c’est gentil!
Je ne savais pas, pour les « perros », sinon j’aurais pu les ajouter comme « personnages » 😉
Bonne soirée!