Auteur: Frank Conroy
Editeur: Folio – 2004 (688 pages)
Lu en décembre 2014
Mon avis: Corps et âme, c’est l’histoire d’un don. Un don accordé par la grâce, ou la génétique, à Claude, petit garçon chétif, qui vit dans un sous-sol avec sa mère, à New-York dans les années ’40. Livré à lui-même pendant que sa mère fait le taxi, Claude a découvert sous un tas de vieux papiers au fond de l’appartement, un petit piano désaccordé. L’enfant essaie d’apprivoiser l’instrument, d’en comprendre le clavier. C’est la naissance d’une passion, d’un pur talent de musicien, et le début d’années de travail acharné. Le hasard (quasiment un miracle) mettra sur la route de Claude un certain Mr. Weisfeld, qui comprend très vite que ce petit bonhomme est un prodige, et qui deviendra son premier professeur, son mentor et protecteur, véritable père de substitution. Grâce à lui, Claude aura par la suite les professeurs les plus prestigieux, fera ses études dans les meilleurs collèges.
D’un appartement miteux aux ors des plus grandes salles de concert de la planète, Corps et âme est l’histoire d’une vie consacrée au piano, d’une vocation, comme quand on entre en religion. La musique classique constitue le noyau de ce roman, autour duquel gravitent d’autres thèmes : le jazz, les différences sociales, l’amour, la paternité, le succès et la jalousie, les relents du nazisme, l’argent et le boom immobilier new-yorkais.
Voilà pour le résumé. Maintenant…Comment vous faire comprendre ce que j’ai ressenti pendant cette lecture… On dit qu’après Mozart, le silence qui suit est encore de Mozart. Je fais partie d’un chœur amateur, et il m’arrive aussi d’assister à des concerts de musique classique. Certaines œuvres procurent des sensations intenses, de bien-être, de plaisir pur, sans oublier le stress, le trac qui précède l’entrée en scène. Souvent, à la toute fin du morceau, le temps reste suspendu à la baguette du chef pendant quelques secondes, personne ne bouge ni ne souffle le moindre mot, comme si tous, choristes, musiciens, chef, auditoire, voulaient prolonger les émotions éprouvées pendant le morceau, au-delà de la partition. Quelques secondes pour que les dernières ondes sonores se dissolvent dans les plafonds de la salle de concert, pour que les corps et les âmes, habités par la musique, reviennent à la réalité. C’est là que la tension se relâche, que le chef abaisse le bras, que les musiciens et choristes reposent instruments et partitions, que le public éclate en applaudissements. Soulagement et euphorie mêlés, c’est jouissif et fascinant. De la même façon, il est tout aussi fascinant d’observer un musicien ou un chef d’orchestre pendant un concert, et d’assister au(x) moment(s) où celui-ci lâche prise par rapport à la réalité, le corps et l’esprit emportés et portés par les nuances de la partition, totalement étranger à tout ce qui n’est pas musique. L’expression « corps et âme », c’est exactement ça. En l’occurrence, le petit miracle de Frank Conroy, c’est d’avoir su restituer à la perfection les états d’âme de son héros, futur pianiste virtuose, et de réussir à nous faire entendre la musique qu’il décrit. Les non-musiciens pourraient trouver ces descriptions rébarbatives, et j’avoue que je n’ai pas tout compris de la musique atonale, mais ce n’est pas gênant. Les sceptiques pourraient aussi trouver cette histoire trop belle pour être honnête, avec cette incroyable succession de coups de chance, mais je ne crois pas que ça nuise à sa crédibilité. Vous allez me trouver guimauve, mais tant pis, moi j’aime bien les belles histoires…
Présentation par l’éditeur:
À New York, dans les années quarante, un enfant regarde, à travers les barreaux du soupirail où il est enfermé, les chaussures des passants qui marchent sur le trottoir. Pauvre, sans autre protection que celle d’une mère excentrique, Claude Rawlings semble destiné à demeurer spectateur d’un monde inaccessible.
Mais dans la chambre du fond, enseveli sous une montagne de vieux papiers, se trouve un petit piano désaccordé. En déchiffrant les secrets de son clavier, Claude, comme par magie, va se découvrir lui-même: il est musicien.
Ce livre est l’histoire d’un homme dont la vie est transfigurée par un don. Son voyage, à l’extrémité d’une route jalonnée de mille rencontres, amitiés, amours romantiques, le conduira dans les salons des riches et des puissants, et jusqu’à Carnegie Hall…
La musique, évidemment, est au centre du livre – musique classique, grave et morale, mais aussi le jazz dont le rythme très contemporain fait entendre sa pulsation irrésistible d’un bout à l’autre du roman. Autour d’elle, en une vaste fresque à la Dickens, foisonnante de personnages, Frank Conroy brosse le tableau fascinant, drôle, pittoresque et parfois cruel d’un New York en pleine mutation.
Très jolie critique pleine de sensibilité. Je partage avec toi ces quelques secondes d’éternité qui suivent la fin d’un spectacle, d’un concert…
Merci! 🙂