mercredi , 24 juillet 2024

Kremulator

Auteur: Sacha Filipenko

Editeur: Noir sur Blanc – 18 janvier 2024 (208 pages)

Lu en février 2024

Mon avis: Moscou, 1941. Piotr Nesterenko, le directeur du crematorium, est arrêté, accusé d’espionnage au profit de puissances étrangères ennemies.

De par son métier, Nesterenko est le témoin malgré lui, depuis des années, des grandes purges staliniennes, puisque des milliers de cadavres de « traîtres » et autres « espions » lui sont littéralement passés dans les mains avant d’être enfournés dans l’incinérateur.

A ce titre, Nesterenko n’est pas étonné par son arrestation, et ne se fait aucune illusion sur l’issue de son propre « procès ». Cependant, la bureaucratie soviétique étant ce qu’elle est, il faut bien en passer par un minimum de semblant de procédure équitable. Et donc Nesterenko est interrogé en long et en large par un commissaire-enquêteur. C’est au fil de ces interrogatoires qu’on découvre son histoire aussi tumultueuse que celle de son pays. Officier dans l’armée blanche du tsar, il fuit les bolcheviks, s’exile à Constantinople, passe par l’Ukraine, la Serbie, la Pologne, la Bulgarie avant d’échouer à Paris où il sera chauffeur de taxi, avant d’être recruté par le NKVD et de rentrer en URSS. Où il postulera au crematorium, et finira directeur de celui-ci et de l’ensemble des cimetières de Moscou. Toute son histoire est liée par le fil (blanc ou rouge) du désir de l’exilé de rentrer au bercail, et celui de l’amoureux éperdu de retrouver la femme de sa vie.

Mêlant documents historiques (Nesterenko a bien existé) et fiction, Sacha Filipenko recrée avec brio et intelligence les dialogues entre Nesterenko et son enquêteur attitré, en les entrelardant d’une ironie et d’un humour noir irrésistibles. Interrogé et interrogateur jouent à un jeu de chat et de souris impitoyable, même si chacun sait parfaitement que les dés sont pipés et l’issue inéluctable.

A travers le destin mouvementé de cet opportuniste de Nesterenko, l’auteur, opposant notoire à Poutine, raconte aussi l’histoire de la Russie totalitaire et de ses dirigeants obsessionnels et paranoïaques pendant la première moitié du 20ème siècle.

Et comme l’Histoire, c’est bien connu, repasse les plats, peut-être ce portrait est-il à nouveau/toujours d’actualité…

En partenariat avec les Editions Noir sur Blanc via Netgalley.

#Kremulator #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes. Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution, tous victimes des répressions – il les a tous incinérés. Au fil des interrogatoires successifs, il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l’Armée blanche qui a fui les bolcheviks jusqu’en Ukraine, survivant d’un accident d’avion, émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse… Un jeu du chat et de la souris commence entre le prisonnier et son commissaire-enquêteur, brouillant les cartes entre le bourreau et la victime, la justice et le mensonge, le bien et le mal.
Sacha Filipenko entrelace avec virtuosité les documents historiques et la fiction ; maniant une ironie glaçante, il raconte une histoire macabre, folle et fascinante, depuis l’intérieur d’un État totalitaire.

Quelques citations:

– [Le directeur du crematorium]:
Tous les volcans du monde, ma douce, étaient jaloux de la quantité de cendres que je produisais chaque jour.

– [Dans les années 30]:
– Vous aimeriez réussir à comprendre pourquoi la Russie en est arrivée là où elle est…
– Je crois que démêler cela est assez difficile… Sans doute qu’il y a beaucoup de raisons…
– Eh non, mon petit gars! En réalité, tout est très simple! Comme deux fois deux! En Russie, mon ami, les choses sont ce qu’elles sont car on y admet l’inadmissible! Vous et moi, nous avons quitté un pays où personne ne tire jamais la sonnette d’alarme. A chaque fois qu’il faudrait dire « ça suffit », l’homme russe dit: « Oui, c’est vrai qu’on ne peut pas continuer comme ça, mais à bien y réfléchir… » L’un des plus grands problèmes de la Russie, c’est l’alliance du « mais » et de la virgule. Nous avons l’habitude de tolérer des virgules là où nous aurions dû mettre un point depuis longtemps!
– Excusez-moi, mais je ne saisis pas très bien où vous voulez en venir…
– Vous saisissez très bien! Je veux dire qu’au lieu de mettre un point final nous ajoutons des virgules sans fin! Oui, tuer est interdit, mais… Oui, la torture est interdite, mais… Oui, nous savons bien que les criminels ont tort, mais… Mais, mais, mais! Après le meurtre de la vieille et de sa soeur enceinte, Dostoïevski aurait dû mettre un point, mais il a commis un crime, un crime pas moins ignoble que celui de son personnage! Dostoïevski a décidé de justifier l’acte de Raskolnikov. Le voilà, notre drame! Trop souvent, nous voulons comprendre, quand il n’y a rien à comprendre! Nous justifions l’injustifiable! Nous creusons et creusons, là où il ne faudrait plus creuser du tout! Il y a des limites que même le désir de philosopher ne justifie pas de franchir! L’inadmissible est inadmissible!

Evaluation :

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