jeudi , 16 mai 2024

Terre noire

Auteure: Rita Carelli

Editeur: Métailié – 9 février 2024 (240 pages)

Lu en février 2024

Mon avis: Agée de 15 ans, Ana vit seule avec sa mère à Sao Paulo, quand celle-ci meurt brutalement. La vie de cette adolescente introvertie bascule alors à tous points de vue. Son père la récupère et l’emmène sur son lieu de travail un peu particulier : un terrain de fouilles archéologiques situé dans le Xingu, dans l’Etat du Mato Grosso en pleine Amazonie brésilienne. Sa mission consiste à chercher, dans cette région de terre noire*, des traces de présence humaine antérieure à l’arrivée des Blancs.

Hébergée avec son père dans une tribu indienne, Ana en découvre la vie, les rites et coutumes, les rapports humains et ceux avec la nature. Dans ce contexte, la jeune fille blanche apparaît évidemment étrange et maladroite, mais elle s’y sent mieux acceptée que dans son école à la ville.

Le séjour d’Ana dans le Xingu sera bref, mais suffisant pour la marquer à vie. Elle y retournera d’ailleurs une quinzaine d’années plus tard, alors qu’elle est étudiante à Paris. Elle découvrira que les choses ont bien changé : la forêt brûle, il n’y a plus de poissons dans les rivières dont l’eau est détournée pour drainer l’agriculture intensive, le tourisme tend à devenir massif et le territoire et les droits des Indiens de plus en plus étriqués.

« Terre noire » est un roman d’apprentissages multiples pour Ana, qui doit apprendre le deuil, à vivre sans sa mère et avec son père dans un environnement totalement inconnu et différent, à ces moments critiques que sont l’adolescence et l’éveil des sens. Ce séjour en Amazonie s’avère littéralement un rite de passage à l’âge adulte.

Alternant constamment entre passé et présent, première et troisième personnes du singulier, ce texte nous immerge, à travers les yeux d’Ana, dans la vie d’une tribu amazonienne, avec un naturel confondant, sans la moindre trace d’exotisme ou de condescendance post-coloniale. L’auteure sait manifestement de quoi elle parle (avec un amour profond) quand elle décrit cet univers de rites ancestraux, riche en mythes et qui sait depuis toujours comment vivre en accord avec le vivant non humain. Sans pour autant pousser jusqu’au pamphlet, elle laisse aussi transparaître tout son ressentiment quant à la déforestation, les expropriations, la pollution,…, bref tous les dégâts causés par cette « civilisation » particulièrement ravageuse qui est celle des Blancs avides d’argent et de pouvoir.

Un premier roman sensible, qui parle avec beaucoup de justesse du deuil, de la transmission, et des bouleversements, tant ceux du corps et de l’intime, que ceux de la société indienne et de la nature, pour le meilleur et pour le pire.

*terre noire (terra preta en portugais) : type de sol de la forêt amazonienne, créé par l’activité humaine depuis l’époque précolombienne, et très fertile en raison de la présence notamment de charbon de bois, de matière organique, de nutriments, de tessons de poterie (source : Wikipédia).

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Ana est une adolescente comme les autres, peut-être un peu timide. La mort soudaine de sa mère va la jeter dans une aventure inouïe qui va bouleverser sa vie.
Le père d’Ana est archéologue, il fouille les territoires de terre noire pour documenter une occupation humaine immémoriale. Il emmène sa fille avec lui en Amazonie, elle est accueillie chez le chef du village. Dans la forêt, elle est exotique mais acceptée
telle qu’elle est. Elle découvre la nature et la cosmogonie indienne. Elle est fascinée par la mythologie. Par les rites d’initiation traditionnels qui permettent aux filles d’apprendre à être des femmes.
Confrontée à ces différences radicales, sa vision du monde change. Elle repartira mais reviendra des années plus tard pour constater qu’il n’y a plus de poissons dans le fleuve et que la forêt brûle.
Ce premier roman d’apprentissage a le curieux pouvoir de nous parler des Indiens sans exotisme, de changer l’image que nous pourrions en avoir, ils apparaissent pleins de force et de vitalité, ils affrontent leur monde et le défendent.
Ce texte écrit avec une simplicité, un naturel peu communs, rend au lecteur une capacité d’étonnement juvénile et une vision actuelle sur la beauté et la complexité de l’Amazonie.

Quelques citations:

Pffff! Je ne comprends pas comment le gouvernement brésilien a pu donner tellement de terres à si peu d’Indiens… Qui pour couronner le tout ne savent même pas s’en servir!
Toujours cette colère contre les Indiens. Plus grande peut-être, avec les médias qui, quand ils parlent d’eux, du nord au sud du pays, les traitent d’envahisseurs, de bons à rien. Une campagne de diffamation ostentatoire qui plaide en faveur du front des BBB – pour « Bible, Balle (de plomb), Boeuf » – au Congrès National. Cette vieille incompatibilité entre posséder la terre et lui appartenir, entre vivre pour travailler et travailler pour vivre. Si seulement nous étions capables d’apprendre quelque chose d’eux… Ah, s’ils savaient « utiliser » la terre comme eux! Je devrais peut-être commencer par citer des preuves archéologiques, des siècles d’occupation indienne – et de transformation – intense de l’Amazonie sans la détruire, le taux de fertilité élevé des terres noires qu’ils produisent et leurs très faibles émissions de carbone. Ou citer leurs organisations sociales, qui excluent la pauvreté, ou l’exubérance d’une vie remplie d’art et de sens. Mais je vois à l’air méprisant de mon interlocuteur que son cas est désespéré.

– Il n’y a que dans le noir, dans le noir absolu, qu’on peut se baigner à la lumière des étoiles.

Evaluation :

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