samedi , 27 avril 2024

La dernière place

Auteure: Négar Djavadi

Editeur: Stock – 23 août 2023 (320 pages)

Lu en octobre 2023

Mon avis: Au petit matin du 8 janvier 2020, le vol PS752 reliant Téhéran à Kiev s’écrase quelques minutes après son décollage. Aucune des 176 personnes présentes à bord ne survit. Parmi les victimes, Niloufar Sadr, cousine de l’auteure. Installée depuis des années au Canada, Niloufar était venue passer quelques semaines de vacances dans son pays. In extremis, elle avait repoussé la date de son billet de retour pour Toronto et obtenu la dernière place sur ce fameux vol 752, grappillant ainsi quelques jours supplémentaires auprès de sa famille. Funeste décision…

A Paris, dévastée par la nouvelle, Négar Djavadi veut savoir, comprendre. Elle scrute pendant des heures les réseaux sociaux, à l’affût de la moindre info, de la moindre image de ce crash, qui a eu lieu dans un contexte d’extrême tension entre l’Iran et les Etats-Unis. Ceux-ci ont en effet assassiné quelques jours plus tôt le général Souleimani, ponte du régime des mollahs, et s’attendent donc à de violentes représailles contre leurs bases aériennes en Irak.

Il faudra trois jours pour que les autorités iraniennes reconnaissent que l’avion civil a été abattu par deux missiles sol-air iraniens. Un tir accidentel, disent-ils. Mais le doute subsiste encore.

Ce livre retrace non seulement le fil de ces trois jours dramatiques et traumatisants, mais aussi la vie de Niloufar et l’histoire iranienne récente, de la dictature du shah à celle des ayatollahs. Il raconte surtout le peuple iranien, otage dans son propre pays d’un totalitarisme religieux aux mains de fanatiques avides de pouvoir et d’argent, pour qui une vie humaine vaut infiniment moins qu’un baril de pétrole. Un peuple qui, en dépit de la répression féroce, est tellement à bout que sa colère explose de plus en plus souvent dans des manifestations monstres à travers le pays (contre le carburant trop cher en 2019, contre le scandale du crash aérien en janvier 2020, contre la mort de Mahsa Amini en 2022). Ce livre parle aussi de l’amour et de la nostalgie de l’auteure, exilée en France à 11 ans, pour l’Iran de son enfance. De sa rage contre les dictateurs cruels, de sa colère contre les gouvernements occidentaux qui ne voient l’Iran que comme un pion dans un jeu géopolitique macabre, de son impuissance à y changer quoi que ce soit. Que peuvent les livres ?

Entre deuil personnel et deuil collectif, Négar Djavadi veut faire affleurer la vérité, celle des Iraniens, pas celle de leurs dirigeants, et faire en sorte qu’on se souvienne de leurs destins tragiques. C’est cela que peuvent les livres.

En partenariat avec les Editions Seuil via Netgalley.

#Ladernièreplace #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

Le 8 janvier 2020, le vol  752 d’Ukraine International Airlines reliant Téhéran à Kiev s’écrase six minutes après le décollage entraînant la mort des 176 passagers et membres d’équipage. Ce crash survient dans un contexte de tensions extrêmes entre l’Iran et les États-Unis.

À travers l’histoire de sa cousine Niloufar Sadr, présente sur ce vol, Négar Djavadi relate cette tragédie. Traumatisme national, la chute du PS752 est l’un des événements qui annoncent le mouvement révolutionnaire qui s’est emparé de l’Iran à l’automne  2022.

Quelques citations:

– Lors d’un séjour en Turquie, Rajib, un jeune homme chez qui je prenais le thé tous les matins, finit par m’interpeller sur cette question et me fit part de son amertume. Il ne comprenait pas pourquoi moi ou n’importe quel Français pouvions entrer en Turquie avec une carte d’identité, alors que lui devait demander un visa et fournir toutes sortes de papiers pour voyager en Europe. Il n’acceptait pas cette injustice. Nous avons tort de négliger ces déséquilibres qui nous arrangent ou nous indiffèrent, ces inégalités qui hiérarchisent et traduisent un sentiment de supériorité dont nous n’avons pas forcément conscience. Tort de ne pas considérer nos privilèges et leurs privations comme une source d’humiliations et de ressentiments, un marchepied vers une radicalisation des esprits.

– Gagnant à plusieurs niveaux, Khomeini joua l’enlisement [dans la guerre Iran-Irak], refusant toute offre de médiation et de cessez-le-feu. Il afficha sans vergogne le visage imperturbable du tyran qui regarde mourir les enfants de son pays du haut de son balcon. A quoi bon la paix quand il suffit de ramasser les gosses dans les écoles, de mettre la clé (en plastique) du paradis autour de leur cou et de les envoyer servir de chair à canon sur les champs de mines? Et d’ailleurs, qui a besoin du peuple quand le sol sur lequel il a cloué son pouvoir contient la quatrième réserve mondiale de pétrole et la seconde de gaz, générant tout l’argent nécessaire pour continuer? Ceux qui tiennent compte de leur peuple, de ses opinions, de ses aspirations, qui veillent sur sa sécurité et ses intérêts, sont ceux qui doivent tendre la main dans sa direction, récolter son argent pour payer leurs salaires et faire marcher le train de vie de l’Etat.

– Je me suis souvent demandé, sans doute avec beaucoup de naïveté, comment à l’heure du téléphone portable – tout à la fois caméra, projecteur et espace de diffusion – les politiques de là-bas comme ceux d’ici peuvent (osent?) encore mentir. Comment n’ont-ils pas davantage pris conscience de ce pouvoir phénoménal acquis par les citoyens, non pas grâce à des avancées sociales et aux lois, mais à la technologie et sa démocratisation? Comment, aveuglés par leur puissance, ou bien déconnectés du quotidien, ne réalisent-ils pas que les machines dont ils usent pour accroître la surveillance peuvent être utilisées contre eux avec la même efficacité? […] Le régime iranien peut couper Internet pendant des jours ou en moduler le débit, cela ne change rien. Il n’agit que sur la diffusion et la propagation, pas sur l’enregistrement. La réalité a été captée, enregistrée, et peut circuler par n’importe quel autre moyen, n’importe quand. L’image existe. L’image comme pièce à conviction à partir de laquelle commence l’investigation.

Evaluation :

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