Auteur: Elena Ferrante
Editeur: Folio – 2018 (544 pages)
Lu en mars 2020
Mon avis: A la fin des années 60, les vies d’Elena et Lila semblent avoir pris des chemins toujours plus divergents. La première est partie étudier à Pise, a publié son premier roman qui lui apporte une certaine notoriété, et semble sur le point de s’installer dans une vie bourgeoise confortable avec Pietro, son futur mari, tout juste nommé professeur à l’université de Florence. Lila, quant à elle, est toujours à Naples et vit désormais avec son compagnon Enzo. Elle travaille, dans des conditions déplorables, dans une usine de salaisons où les hommes s’arrogent le droit de cuissage sans se poser de questions.
Un avenir serein pour l’une, une vie au jour le jour pour l’autre ? Avec Elena Ferrante, rien n’est jamais aussi simple. Tout bouillonne, dans ce roman, à commencer par l’Italie elle-même. Entre les révoltes étudiantes sur les campus et les années de plomb pendant lesquelles fascistes et communistes s’entre-tuent, c’est aussi, pêle-mêle, la période de l’émergence du féminisme, des luttes ouvrières, de l’informatique et de l’influence croissante de la Camorra. Plus rien n’est figé, les lignes bougent sans cesse, et les deux amies ne sont pas épargnées par les tempêtes, intimes ou extérieures. Elena réalise que sa vie de couple est décevante, se retrouve coincée dans une vie de mère au foyer dont elle n’avait pas rêvé. Elle qui a fait tant d’efforts, tant d’études pour s’extirper de son quartier, où elle est désormais perçue (et se perçoit) comme une étrangère, ne se sent pas davantage à sa place dans les cercles intellectuels feutrés qu’elle fréquente. Tout ce chemin pour tenter de devenir quelqu’un, de se forger une identité propre, de s’affranchir de la tutelle de Lila, mais non, elle ne parvient pas à se défaire de son complexe d’infériorité, de son syndrome de l’imposteur : « je sentis que je n’arriverais jamais à me libérer de cette condition de subalterne, et cela me parut insupportable« . Et pourtant, c’est Lila qui, un jour, l’appelle à l’aide, et Elena vole à son secours, découvrant son amie au bout du rouleau. Elena se voit alors embarquée dans la lutte prolétaire à Naples, avant de plonger avec délices et mauvaise conscience dans une relation passionnée et adultère…
L’amitié entre les deux jeunes femmes est toujours là, mais son intensité fluctue, se distendant parfois jusqu’au point de rupture. A toute épreuve un jour, elle devient toxique quelques pages plus loin quand Elena se demande si en réalité Lila ne la manipule pas pour arriver à des fins inavouables. La bonne élève studieuse et sage face à l’autodidacte rebelle et incontrôlable, « fausse et ingrate », généreuse et méchante, à l’intelligence fulgurante ; quelle complexité dans cette relation, et quel talent pour la décrire… Avec en prime une réflexion profonde sur la condition et la place des femmes dans la société et le couple, alors qu’émerge un féminisme qui tente de secouer le carcan d’un patriarcat intégré depuis des siècles, y compris par les femmes elles-mêmes.
Ce troisième volume m’a captivée autant que les deux premiers. L’écriture d’Elena Ferrante est fascinante, dense, addictive, d’une intelligence et d’une finesse épatantes, et j’admire sa capacité à tenir la longueur sur ces trois premiers livres, soit plus de 1500 pages. Je vais me plonger avidement dans le dernier, tout en redoutant le manque qui surviendra lorsque je le terminerai…
Présentation par l’éditeur:
Alors que les événements de 1968 s’annoncent, que les mouvements féministes et protestataires s’organisent, Elena, diplômée de l’École normale supérieure de Pise, est au premier rang. Elle vient de publier un roman inspiré de ses amours de jeunesse qui rencontre un certain succès tout en faisant scandale. Lila, elle, a quitté son mari Stefano et travaille dur dans une usine où elle subit le harcèlement des hommes et découvre les débuts de la lutte prolétaire. Pour les deux jeunes femmes, comme pour l’Italie, c’est le début d’une période de grands bouleversements.