jeudi , 25 juillet 2024

Le loup des steppes

Auteur: Hermann Hesse – Prix Nobel de littérature 1946

Editeur: Le Livre de Poche – 1991 (224 pages)

Lu en décembre 2013

le loup des steppesMon avis: Je n’avais pas encore dépassé la 10ème page du Loup des steppes que déjà je me disais « waow, c’est du lourd ». Vous m’auriez dit « c’est un peu court, jeune fille », et je conviens de suite avec vous que cette expression un brin familière contraste fortement avec le style ultra-classique de l’écriture. J’aurais dû dire quelque chose comme « il suffit d’avoir parcouru quelques lignes de cette oeuvre pour comprendre qu’on a affaire à un récit d’une richesse inouïe, et que même en le relisant à de nombreuses reprises, on y découvrirait chaque fois quelque chose de nouveau ».
Certes. Par où, dès lors, commencer cet avis ? Comment oser même le commencer, tellement il semble difficile de résumer ce roman si ample ? Forcément, on risque d’oublier quelque chose.
Commençons donc par les faits. Nous sommes dans les années 1920, dans une petite pension qui fleure bon la Germanie, et dans laquelle réside Harry Haller, la cinquantaine.
Harry est un intellectuel de haut vol, ou qui se considère comme tel, antimilitariste, et affligé d’un complexe de supériorité consternant, par rapport à l’hypocrite classe bourgeoise, qu’il méprise en raison des penchants de celle-ci pour les futiles petits plaisirs de la vie.
Harry est un personnage aigri, grincheux, nombriliste qui cache sa misanthropie sous un vernis d’affabilité et de civilisation.
Harry est un loup solitaire qui ne s’assume pas, qui se prend trop au sérieux dans sa quête d’absolu, recherchant désespérément le bonheur dans une sorte de pureté intellectuelle immortelle, détachée de toutes les contingences quotidiennes.
Harry est un naïf, mais il se rend bien vite compte que cet état lui est inaccessible, tiraillé qu’il est par sa propre part d’ombre, celle qui l’attire irrésistiblement vers une animalité qu’il juge décadente et indigne de lui.
Harry se sent donc schizophrène, et souffre le martyre, au point d’envisager le suicide.
Une nuit d’errance à travers la ville le conduit par hasard (est-ce vraiment le hasard ?) devant la porte du Théâtre Magique (« seulement pour les fous »). Il y rencontre une étrange jeune femme, Hermine, qui pourrait bien être son double féminin. Et la voilà qui entraîne Harry dans un tourbillon, le tourbillon d’la vie, comme dirait Jeanne Moreau. Hermine lui apprend à danser, à apprécier le jazz, lui qui ne jure que par Mozart, à séduire les femmes, à goûter alcools et drogues pour mieux lâcher prise.
Le chemin est difficile pour Harry, qui culpabilise, souvent tenté de retourner à sa vie d’ermite. Mais il se laissera apprivoiser et guider sans trop résister, jusqu’à… Jusqu’à quoi, d’ailleurs ? Cela reste mystérieux pour moi. Je ne suis pas certaine d’avoir compris ce qu’Hermann Hesse a voulu dire. Tellement de thèmes parcourent ce roman, et tellement d’interprétations en sont possibles, qu’il me laisse perplexe.
On sent bien le climat pessimiste de l’époque, après la tuerie de 14-18 et avant la « drôle de guerre » dont, insidieusement, on commence à poser les jalons outre-Rhin. On comprend bien également que l’auteur se livre à une critique féroce des moeurs décadentes de cette période, où on ne respecte plus grand-chose, où on se contente de consommer sans se fatiguer à réfléchir (thème actuel s’il en est…). On voit bien aussi le dilemme d’Harry avec la métaphore du loup des steppes, l’opposition raison/état de nature. Dilemme qui se complique quand Harry comprend que sa personnalité n’est pas seulement double, mais multiple, comme quand on se regarde dans un miroir brisé.
Je n’ai pas réellement adhéré à l’univers fantastique du Théâtre Magique, je n’en ai pas compris le sens. Le message est-il qu’il faut se réfugier dans les drogues pour ne plus souffrir ? qu’il faut prendre la vie avec légèreté sans se poser de questions ? qu’être trop sérieux revient à être hypocrite ?
Je n’ai pas trouvé les réponses, dans cette atmosphère lourde, étouffante, entre onirisme et psychanalyse, entre Kafka et Nietzsche. Trip sous acide d’une lost generation avant la date ?
En tout cas, difficile de s’attacher à ce personnage en pleine crise existentielle.
Je n’ai peut-être rien compris, mais je trouve que ce Loup a mal vieilli…

Présentation par l’éditeur:

Expérience spirituelle, récit initiatique, délire de psychopathe, Le Loup des steppes multiplie les registres. Salué à sa parution en 1927 (entre autres par Thomas Mann, qui déclare : « Ce livre m’a réappris à lire »), interdit sous le régime nazi, roman culte des années 1960 et 1970, c’est une des œuvres phares de la littérature universelle du xxe siècle. Il méritait une nouvelle traduction. Le voici enfin rendu avec tout l’éclat de ses fulgurances, la troublante obscurité de ses zones d’ombre.

Quelques citations:

– « Je crois que la lutte contre la mort, la volonté d’exister irraisonnée et tenace est l’impulsion qui fait vivre et agir tous les hommes remarquables ».

– « « La plupart des hommes ne veulent pas nager avant de savoir le faire. » N’est-ce pas spirituel? Naturellement, ils ne veulent pas nager! Ils sont nés pour la terre, pas pour l’eau! Et, naturellement, ils ne veulent pas penser: ils sont faits pour vivre, pas pour penser! Oui-da, et celui qui pense, celui qui en fait son principal souci peut, certes, pousser loin dans ce domaine, mais il a quand même changé la terre pour l’eau et un jour il coulera ».

– « De même qu’en cet instant je m’habille et sors, que je vais voir le professeur et que j’échange avec lui des gentillesses plus ou moins hypocrites, sans, au fond, le vouloir, de même agissent et se meuvent et vivent la plupart des hommes d’heure en heure et de jour en jour; par nécessité, sans que leur volonté y ait part, ils font des visites, mènent des entretiens, passent au bureau leurs heures de travail d’une façon automatique, forcée, involontaire; tout cela aurait pu, au même titre, être fait par des machines ou n’être pas du tout; c’est bien cette mécanique éternellement en mouvement qui les empêche, comme moi, de critiquer leur vie, de sentir et de reconnaître sa fadeur et sa stupidité, sa valeur problématique au rictus atroce, sa tristesse et son vide désespéré ».

– « Tu avais en toi une image de la vie, une croyance, une exigence, tu étais prêt à des exploits, des souffrances, des sacrifices; et puis, peu à peu, tu remarquas que le monde n’exigeait de toi aucun exploit et aucun sacrifice, que la vie n’est pas une épopée héroïque avec des rôles en vedette, mais une cuisine bourgeoise, où l’on se contente de boire et de manger, de prendre un café, de tricoter des bas, de jouer aux cartes et d’écouter la T.S.F. Et celui qui veut et qui a en lui autre chose: l’héroïque, le beau, l’adoration des grands poètes, la piété pour les saints, n’est qu’un imbécile et un don Quichotte ».

Evaluation :

Voir aussi

Quand le fleuve gronde

Auteur: Borden Deal Editeur: Belfond – 6 juin 2024 (720 pages) Lu en juin 2024 …

2 commentaires

  1. Intéressant. Je n’ai jamais rien lu de cet auteur et ta critique m’attire. Nous avons tous des rêves et nous avons la fatuité d’y croire…

  2. Il faudrait que je le relise.