Auteur: Horacio Castellanos Moya
Editeur: Métailié – 2015 (160 pages)
Lu en mai 2023
Mon avis: Ca y est ! Après une dizaine d’années d’exil au Mexique, Erasmo Aragón, journaliste salvadorien, va enfin pouvoir réaliser son rêve : rentrer dans son pays et y lancer avec quelques anciens collègues une nouvelle revue politique.
En effet, en ce début d’années 90, la guerre civile qui a ravagé le Salvador entre 1974 et 1992 semble sur le point de se terminer, le gouvernement ayant entamé des négociations avec la guérilla.
Et tant qu’à faire d’une pierre deux coups, Erasmo voit également dans ce retour l’occasion de quitter sa compagne Eva et leur petite fille, pour lesquelles il n’éprouve plus rien à part de l’agacement.
Mais à mesure que le rêve se matérialise et que le grand jour du départ approche, Erasmo, éternel angoissé, se met à souffrir du foie, à tel point qu’il consulte le Dr Chente Alvarado, médecin réputé et compatriote lui aussi exilé. Celui-ci propose à Erasmo d’essayer l’hypnose. A la fin de la première séance, celui-ci ne se souvient de rien, mais le Dr Chente, qui refuse de lui révéler ce qu’il a dit et a tout noté dans un petit carnet, lui assure que c’est le processus normal. Et Erasmo, qui se sent beaucoup mieux, accepte de poursuivre le traitement. Mais après quelques séances, le Dr Chente se volatilise, et la paranoïa et l’angoisse d’Erasmo ressurgissent de plus belle. N’est-ce pas trop risqué de rentrer au Salvador ? Qu’a-t-il bien pu raconter d’inavouable pendant les séances d’hypnose ? Chente ne serait-il pas un espion à la solde du régime ? Etc etc…
Erasmo Aragón (qu’on retrouvera plus tard dans « Moronga » et « L’homme apprivoisé ») n’a pas grand-chose qui le rende sympathique : égoïste, macho, faible, indécis, porté sur l’alcool et les femmes, lâche, incapable de s’engager, d’assumer ses responsabilités et d’affronter ses problèmes. Un type pathétique, donc, mais l’auteur parvient à susciter l’empathie du lecteur et à rendre cet hypocondriaque d’Erasmo presque attachant. La narration à la première personne nous immerge dans son cerveau torturé, mais le ton n’est pas aussi lugubre qu’on pourrait le penser : la plume de Moya est aussi speedée que son personnage, et trempée dans un humour corrosif, noir, et donc jouissif.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : à travers le portrait d’un homme névrosé, Moya, comme dans ses autres livres, nous parle de la cruauté de l’exil et dénonce la violence qui gangrène le Salvador et le reste de l’Amérique centrale en général.
Présentation par l’éditeur:
Au début des années 90, le gouvernement du Salvador et la guérilla entament des négociations ; Erasmo Aragón, journaliste salvadorien exilé au Mexique, songe à regagner son pays d’origine, ce qui lui permettrait également de planter là sa femme et sa fille qui l’énervent prodigieusement. Dans l’attente du départ, il vit dans un état second, entre les vapeurs de l’alcool et les bouffées d’angoisse, hanté par des souvenirs confus et la peur d’être arrêté à sa descente de l’avion. Souffrant d’une douleur chronique au foie, il consulte don Chente Alvarado, un vieux médecin qui lui prescrit des séances d’hypnose censées le soulager, dont au réveil il ne se rappelle rien. Paranoïaque, égoïste, velléitaire, le narrateur nous entraîne dans un flot de phrases au bord de la crise de nerfs, de soirées arrosées en lendemains de cuites, obsessionnel jusqu’à la déraison. Avec ce roman brillant, Castellanos Moya continue sa grande exploration de la violence, ici incrustée au plus profond de l’individu, comme si la guerre habitait les corps bien longtemps après la fin des hostilités.