Auteur: Hernán Rivera Letelier
Editeur: Métailié – 2015 (214 pages)
Lu en août 2016
Mon avis: Ce roman est à la fois un coup de coeur, un coup au coeur, et un crève-coeur. Il est triste, bouleversant, révoltant. Il est beau. Bien que ce dernier mot soit un drôle de qualificatif pour le récit de la lutte (bien réelle) menée par les travailleurs du salpêtre des mines du désert d’Atacama, dans le nord du Chili.
Le récit s’ouvre, en ce 10 décembre implacablement ensoleillé de 1907, sur le couple de vautours apprivoisés – oiseaux de mauvais augure s’il en est – d’Olegario Santana, 57 ans, mineur taciturne connu pour son tempérament pessimiste. Ce jour-là, alors qu’il part à la mine, il apprend que la grève a été déclarée et que les grévistes vont se rendre à pied à Iquique, où sont censées se tenir des négociations avec les patrons (autre sorte de vautours) et les autorités locales. Olegario se laisse entraîner dans le mouvement et se met en marche avec des dizaines de compagnons, leurs femmes et leurs enfants. Un jour et une nuit de marche harassante à travers le désert le plus aride du monde, dans une chaleur d’enfer et un froid de glace, avec à peine de quoi boire et manger. Tous n’arriveront pas à Iquique, mais qu’importe : « …nous avons éprouvé au fond de nos coeurs l’impression de marcher en direction d’un monde nouveau, d’une nouvelle patrie, du pays magique de la justice et de la rédemption sociale. Sous le coup de l’émotion et malgré la fatigue, le désert nous a semblé l’endroit le plus beau du monde ».
Hébergés tant bien que mal dans des écoles, des hangars et même un cirque, les travailleurs en grève affluent par milliers de toutes les compagnies du désert. Une délégation est désignée pour rencontrer les « seigneurs du salpêtre », pendant que les mineurs, toujours plus nombreux dans la ville, vivotent, calmes et disciplinés, dans une ambiance de kermesse. Mais les jours passent, les négociations s’enlisent et « L’exaltation et l’allégresse des premières heures s’étaient considérablement atténuées au fil des jours pour se transformer en un calme plein de tension et d’angoisse ». Celle-ci monte encore d’un cran à l’arrivée de troupes militaires de tout le pays et de vaisseaux de guerre dans le port, mais les mineurs, dans leur naïveté, croient toujours à une issue favorable : « Et cette allégresse était si saine, si innocente, notre conflit si juste et si fondé à nos yeux, nous faisions une telle confiance aux autorités civiles et militaires que nous nous surprenions parfois à agiter nos mouchoirs, à applaudir avec un enthousiasme enfantin le défilé martial des soldats en patrouille de surveillance ». Et pourtant, après onze jours, la souricière se renferme sur les mineurs, le 21 décembre 1907 à 15h48. Pris au piège dans l’école Santa Maria, 3000 d’entre eux (sur 12 000) tomberont sous les balles des soldats.
Ce récit est terrible, car on sait, on sent qu’il finira en boucherie. L’auteur rend très bien la tension de ces jours, ces heures, qui monte au fil des pages, et on se demande, une boule d’angoisse dans la gorge, qui, d’Olegario, Doña Gregoria, José Pintor, Liria Maria, Idilio et tant d’autres, va en réchapper parmi nos amis. Parce qu’on s’est réellement pris d’amitié pour ces âpres travailleurs qui réclament seulement un salaire plus juste et le droit de ne pas être exploités comme des esclaves. Alors, quand enfin la dernière mitrailleuse se tait, et qu’on émerge, tout abruti, du chaos, on a eu l’impression de vivre ces scènes dantesques et d’avoir senti les balles nous siffler aux oreilles. Et on compte les morts, et on essaie de sauver ceux qui peuvent l’être. Puis, parce qu’au fond rien n’a vraiment changé, on accompagne les survivants qui retournent à la mine.
Hymne au désert d’Atacama et à ses travailleurs, ce livre nous emmène au bout d’un combat social mais aussi au coeur de vies ordinaires et très attachantes, faites d’amours, de petites jalousies, de courage, d’innocence et d’une générosité aussi infinie que la cupidité des maîtres du salpêtre, et que le nombre d’étoiles dans le ciel de l’Atacama. Un coup de coeur, vous disais-je.
Présentation par l’éditeur:
1907 est une année de grandes grèves au Chili. Dans les mines de nitrate du désert d’Atacama, des milliers de mineurs décident de faire une grande marche à travers le désert en direction de la petite ville de Santa María de Iquique, où doivent se tenir, pensent-ils, des négociations.
Parmi eux, on croise des personnages incroyables: Olegario le mineur amoureux de la silhouette de gitane sur son paquet de cigarettes, Gregoria l’énergique veuve au grand cœur, Idilio le constructeur de cerfs-volants, et la jeune Liria María. Tous ces protagonistes pleins de force et d’innocence sont inexorablement entraînés vers un dénouement tragique et réel : la répression fera trois mille morts.
Hernán Rivera Letelier mêle épopée sociale et vies romanesques dans un récit à plusieurs voix magnifique et poignant. Il continue son exploration de cet univers prodigieux que fut le monde des mines d’Atacama, qu’il chante dans une écriture rude et magique qui n’appartient qu’à lui.
Quelques citations:
– Rêver, c’est déjà une façon de lutter, don Olegario. Quelqu’un a dit un jour: tous les rêves sont séditieux.
– Ce José Pintor est un mécréant! Un jour je l’ai entendu dire que Dieu aimait sûrement beaucoup les pauvres pour en avoir créé autant. Quelle énormité!
Waouh, ta critique m’a scotchée ! Elle prend aux tripes et tout de suite on comprend que la lutte sera inégale. J’inscris ce livre illico dans ma PAL, ton ressenti est terriblement bien traduit. Merci !
Merci 🙂 Contente d’avoir réussi à rendre l’atmosphère du livre!
Quelle belle critique ! Je note !
merci Lydia 🙂