Auteur: Charlie Gilmour
Editeur: Métailié – 12 janvier 2024 (304 pages)
Lu en janvier 2024
Mon avis: Ce jour-là, un bébé pie tombe du nid.
C’est son jour de chance.
Le bébé pie est recueilli par un couple d’humains, une femme et son compagnon, 30 ans.
L’homme ne le sait pas encore, mais c’est un jour de chance pour lui aussi, puisque c’est en commençant à élever ce bébé pie qu’il va lui-même prendre son envol.
Pourtant, il est né 30 ans plus tôt, à cet âge il devrait savoir comment, si pas voler, au moins avancer dans la vie.
Mais non, il ne sait pas, pas complètement. Une partie de lui est restée clouée au sol dans sa petite enfance, dans l’attente de l’amour nourricier qu’aurait dû lui apporter son père biologique.
Mais celui-ci, le poète et artiste fantasque Heathcote Williams, a abandonné sa compagne et leur fils de six mois pour se consacrer tant bien que mal à son art.
Depuis tout ce temps, ou presque, l’enfant cherche à comprendre ce qu’il a bien pu faire de mal pour faire fuir ce géniteur. Il provoque des retrouvailles à plusieurs reprises, mais ne parvient pas à créer de lien avec cet homme qui fuit la paternité comme une anguille. Sa conclusion, faute de preuve contraire, est simple mais destructrice : « Je n’ai pas été assez intéressant, ou pas assez intelligent; […] Je suis mauvais, d’une manière ou d’une autre; voire nocif ».
S’ensuit, au début de l’âge adulte, une période de rébellion, de violence, de drogue et même de prison.
Pourtant, il a eu (et a toujours) un père de substitution, qui l’a adopté légalement, en plus de l’aimer et de prendre soin de lui. Mais cela n’a pas suffi.
Alors maintenant, Charlie se demande comment s’occuper de Benzene – la pie, lui qui sait si peu s’occuper de lui-même et qui est terrifié à l’idée d’être père à son tour.
Et puis, peu à peu, peut-être parce que Benzene n’a pas de préjugés ou qu’elle ne voit les humains autour d’elle que comme des pourvoyeurs de nourriture et d’abri, l’homme se sent accepté tel qu’il est, sort de sa coquille, apprivoise l’oiseau ou se laisse apprivoiser par lui, se sent responsable de son existence (celle de Benzene et la sienne). Il tente à nouveau de renouer avec son père, mais leurs rapports semblent toujours aussi chaotiques et stériles, à moins que la mort qui rôde autour de Heathcote change la donne.
Je m’aperçois que j’ai beaucoup parlé de Charlie et peu de Benzene, et pourtant sans elle ce très beau roman n’existerait pas. Et d’ailleurs, ce « roman » semble largement autobiographique : Charlie Gilmour est le fils biologique de Heathcote Williams, et le fils adoptif (et infiniment reconnaissant) de David Gilmour (du groupe Pink Floyd), même si cette précision est anecdotique dans ce livre.
Un très beau roman, donc, qui changera votre regard sur les pies et les corvidés, de sinistre réputation dans la sagesse populaire. Charlie Gilmour raconte avec sincérité et pudeur la construction de son lien affectif très fort avec Benzene, leurs progrès à tous deux vers une version d’eux-mêmes libre et accomplie.
Roman d’apprentissage, roman sur la filiation et la transmission, sur le soin qu’on prend des autres et de soi-même, sur l’humain et ce que peuvent être ses liens avec la nature.
Filant tout du long la métaphore de l’oiseau qui prend son envol, « Premières plumes » est un livre magnifiquement écrit, plein de charme et de poésie, d’humour et d’autodérision, terriblement touchant. On s’y blottit comme dans un nid rembourré d’ouate, et pendant quelques instants on se prend à croire que le monde est parfois beau.
Et Benzene est le personnage littéraire le plus attachant parmi tous ceux que j’ai rencontrés.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Présentation par l’éditeur:
Quelque part dans une zone industrielle de Londres, un oisillon tombe par terre. Quelqu’un le voit, le prend, le protège. Un homme, qui ne s’est jamais intéressé aux animaux, commence à s’en occuper.
Mais il ne sait pas comment l’élever, il sait juste que si on nourrit un corbeau, il peut nous crever les yeux. Il sait aussi que 30 ans plus tôt, un autre oiseau est tombé d’un nid et s’est retrouvé entre les mains de l’homme qui allait devenir son père.
« Premières plumes » est un récit émouvant sur la façon dont un animal sauvage peut changer nos vies et nous aider à comprendre d’où on vient. Un livre sur ce qui unit et ce qui sépare quand on est lié par le sang, sur la transmission et la liberté, sur la filiation et le soin de l’autre. Une histoire sur des pères et leurs enfants, des oiseaux et des magiciens.
Surprenant de bout en bout, ce premier récit est touchant, drôle, profond, poétique et superbement écrit : un futur classique du nature writing. Mais, avant tout, c’est l’incroyable histoire d’amour entre un homme et une pie appelée Benzene.
Une citation:
– Quant aux raisons de cette haine [envers les pies], elles sont difficiles à cerner. A en croire les gens qui les accusent de massacrer des oiseaux chanteurs, elles seraient responsables de la dégradation de l’écosystème. Il semble en effet que les pies sont des prédatrices opportunistes qui mangent parfois les oeufs et les petits d’autres oiseaux, mais alors pourquoi les crécerelles, les buses, les éperviers, les chouettes, les chats et, surtout, les humains, ne sont-ils pas haïs et chassés avec une même ferveur?