mardi , 10 décembre 2024

Pauvres créatures

Auteur: Alasdair Gray

Editeur: Métailié (Suites) – réédition 12 janvier 2024 (320 pages)

Lu en janvier 2024

Mon avis: « Pauvres créatures » est donc le roman dont est tiré le film éponyme, actuellement en salles et que je n’ai pas (encore) vu.
Si j’ai bien compris, le film est l’adaptation de la partie principale du livre, à savoir la « création », vers 1880, de Bella par le chirurgien écossais Godwin Baxter, sorte de savant fou humaniste. Escamotant à la morgue le cadavre d’une jeune femme noyée enceinte de huit mois, il tente de la ramener à la vie en lui greffant le cerveau du bébé qu’elle porte.
Evidemment, la greffe fonctionne, et apparaît Bella, littéralement femme-enfant, spontanée et innocente, qui doit tout apprendre à partir de son cerveau neuf et vierge de tout préjugé et tout complexe, mais aussi de tout code moral et social.
Evidemment, Godwin se garde bien de révéler le secret de ses origines à Bella et au reste du monde. Seul son ami McCandless, également médecin, est au courant.
Evidemment, McCandless (Chandelle, pour les intimes) tombe amoureux fou de Bella au premier regard et lui propose aussitôt le mariage.
Bien sûr, Bella, qui à ce moment a le cerveau d’un enfant de douze ans, accepte, à la condition de pouvoir s’enfuir d’abord quelques mois au bras de son amant, le coureur de jupons Wedderburn, pour qu’il lui apprenne la vie.
Mais le livre ne se limite pas à cette histoire. L’auteur s’est amusé à y imbriquer une lettre de Wedderburn à Godwin dans laquelle il se plaint de l’appétit sexuel vorace de Bella, et une lettre de Bella au même Godwin dans laquelle elle se plaint de ce pleurnichard de Wedderburn. Puis le récit se poursuit avec le retour de Bella à Glasgow auprès de son « géniteur », mais ses projets de mariage avec Chandelle pourraient bien se voir contrecarrés par les réminiscences de la vie antérieure de Bella.
L’auteur veut nous faire croire que toute cette histoire est racontée par McCandless dans un livre publié à compte d’auteur, qui aurait été retrouvé dans une poubelle un siècle plus tard. Alasdair Gray se joue encore du lecteur en prétendant que ce livre était accompagné d’une lettre de Bella à ses descendants, dans laquelle elle livre sa propre version de l’histoire, qui contredit fâcheusement celle de son pauvre Chandelle.
Dans ce pastiche de roman gothique victorien, il y a du Frankenstein et du Pygmalion, et d’autres références que je n’ai pas. Gray utilise tous les subterfuges pour étayer la version de McCandless, fantaisiste et fantastique, mais, malicieux, il laisse le choix au lecteur d’opter pour celle de Bella, plus terre à terre et qui se moque de son mari doux-dingue et insipide.

Quoi qu’il en soit, il s’agit dans les deux cas d’émancipation féminine dans un monde patriarcal étriqué, qui n’hésitait pas à enfermer à l’asile les insensées qui osaient sortir du rang et/ou à pratiquer sur elles des clitoridectomies pour calmer leur « hystérie ». Il est aussi question de justice sociale et de socialisme, et des horreurs commises au nom de l’impérialisme britannique.
Pour ma part, dans ce livre composite et ludique, j’ai préféré la partie prétendument attribuée à McCandless, divertissante et jouissive, qui brocarde les hommes et offre un portrait pétillant de femme libre et moderne dans une société qui n’est pas prête pour cela. Pour le reste, j’ai trouvé que cela manquait de souffle et se traînait en longueur dans les réflexions révolutionnaires un peu farfelues de Bella et dans les fastidieuses « notes critiques et historiques » de Gray lui-même, qui embrouillent parfois la lecture.
Cela dit, l’écriture est agréable et finalement assez fluide, et cette composition exubérante et originale est un tour de force de création littéraire.

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

Lorsque Godwin Baxter découvre à la morgue de Glasgow le corps d’une jeune femme suicidée enceinte de près de neuf mois, il est pris d’un furieux désir de la rendre à la vie en utilisant le cerveau de l’enfant à naître. Fils naturel d’un grand chirurgien, il va effectuer une greffe étonnante, digne d’un Frankenstein délirant, qui fera d’elle, Bella Baxter, une femme exceptionnelle.
Mais face à un monde victorien étriqué et à l’amour d’Archibald McCandless, condisciple de la faculté de médecine de Baxter, que va-t-il advenir de cette créature sans préjugés et spontanée comme un petit enfant dans un corps de femme épanouie ? Et, surtout, qu’est-ce qu’elle, Bella, en pense ?

Ce splendide pastiche du roman gothique anglais nous entraîne, avec un humour inénarrable, à travers un univers où tout devient possible, un endroit où fantasmes et fantaisies prennent le pas sur le réel. Une aven­ture époustouflante d’amour véritable, de folie scientifique et d’imagination sans limites.

Quelques citations: 

– L’imagination, comme l’appendice, est héritée d’une époque primitive où elle aidait à la survie de notre espèce, mais, dans nos nations modernes, scientifiques et industrielles, c’est surtout une source de malaise.

– L’anatomie pathologique est essentielle pour s’exercer et pour faire des recherches, mais elle conduit trop de médecins à estimer que la vie est une agitation de quelque chose de fondamentalement mort. Ils traitent leurs patients comme si les esprits, comme si les vies, ne comptaient pour rien. L’attitude doucereuse que nous [les médecins] adoptons au chevet des malades n’est guère plus qu’un piètre anesthésique pour les rendre aussi passifs que les cadavres sur lesquels nous nous entraînons.

– « Pardonnez mon excitation, McCandless. Vous ne pouvez pas la partager parce que vous n’avez jamais été un parent, vous n’avez jamais créé quelque chose de nouveau et de splendide. C’est merveilleux pour un créateur de voir sa créature vivre, sentir et agir indépendamment. J’ai lu la Genèse il y a trois ans et je n’ai pas pu comprendre la colère du Créateur quand Adam et Eve ont voulu connaître le Bien et le Mal… et devenir semblables au Créateur. C’aurait dû au contraire être sa plus grande fierté.
– Ils lui avaient délibérément désobéi! répliquai-je en oubliant « De l’origine des espèces » et en reprenant la voix du « Petit catéchisme ». Il leur avait donné la vie et la jouissance de tout sur la terre, tout sauf de deux arbres interdits. C’étaient des mystères sacrés dont les fruits étaient mauvais. C’est une avidité perverse qui les a poussés à y goûter.
Baxter secoua la tête et déclara:
« Seules les mauvaises religions sont basées sur des mystères, de même que les mauvais gouvernements dépendent de la police secrète. La vérité, la beauté et le bien ne sont pas des mystères, ce sont les faits les plus communs, les plus évidents et les plus essentiels de la vie, comme le soleil, l’air et le pain. Seules les personnes dont l’esprit a été brouillé par une éducation coûteuse pensent que la vérité, le bien et la beauté sont de précieuses propriétés privées. La nature est plus généreuse. L’univers ne nous refuse rien d’essentiel… Il ne fait qu’accorder, que donner. Dieu est la conscience de l’univers. Ceux qui disent que Dieu, ou l’univers, ou la nature, sont mystérieux sont comme ceux qui leur attribuent de la jalousie et de la colère. Ils révèlent l’état de leur propre esprit brouillé et solitaire.

Evaluation :

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