vendredi , 29 mars 2024

Sonietchka

Auteur: Ludmila Oulitskaïa

Éditeur: Gallimard – 1996 (120 pages)

Lu en décembre 2020

Mon avis: Dans l’URSS des années 30, Sonietchka est une jeune fille solitaire passionnée de lecture. Avec « un nez en poire et un derrière en forme de chaise« , elle n’attire pas vraiment les regards, mais elle s’en accommode parfaitement, surtout depuis ce jour où, adolescente, elle a été humiliée par un de ses condisciples. Cet incident la « délivre à tout jamais du besoin de plaire, de séduire et d’ensorceler« , et elle se replonge avec bonheur et bonne conscience dans les romans.

Forcément, elle devient bibliothécaire.

Un jour, Robert, un artiste peintre plus âgé qu’elle, se présente à la bibliothèque et, le lendemain, demande Sonietchka en mariage. A 27 ans, la jeune femme quitte son monde de fiction pour la vie réelle : « pendant ses années de mariage, la jeune fille irréaliste qu’avait été Sonietchka s’était métamorphosée en une femme d’intérieur assez pratique« . Elle ne rêve plus au fil des pages mais désire « passionnément avoir une maison normale avec l’eau courante dans la cuisine, une chambre pour sa fille et un atelier pour son mari, avec des boulettes de viande hachée, de la compote de fruits et des draps blancs empesés qui ne soient pas confectionnés de trois bouts de tissu de taille différente« . Sonia est heureuse et consciente de son bonheur, dont elle s’émerveille d’autant plus qu’elle le vit comme une sorte d’imposture : « au fond de son âme, elle s’attendait secrètement à tout instant à perdre ce bonheur, comme une aubaine qui lui serait échue par erreur, à la suite d’une négligence. […] et ne cessait de se répéter : « Seigneur, Seigneur, qu’ai-je fait pour mériter un tel bonheur… »« .

Et quand, vieillissante, Sonietchka se retrouve à nouveau seule, loin d’être amère, elle remédie à sa tristesse en se replongeant dans la lecture, « dans des profondeurs exquises, des allées sombres et des eaux printanières« .

Sonietchka est un personnage peu banal : cœur pur et paisible, elle se laisse porter par la vie, s’adapte à tout sans se plaindre alors qu’elle en aurait tous les droits, tant elle est malmenée par l’égoïsme de son entourage et par les événements qui secouent l’URSS au milieu du siècle passé.

Ce qui m’a le plus frappée, c’est sa résignation, sa certitude de ne pas mériter d’être heureuse. Pourquoi ? Parce qu’elle est laide et aime la lecture, elle n’aurait pas le droit d’être aimée pour ce qu’elle est, de s’épanouir aussi dans la « vraie vie » ? L’auteure ne développe pas le thème et se contente de dresser le portrait d’une femme et de son époque, avec détachement et concision, sans empathie et guère plus d’émotions, mais avec quelques traits d’humour. Je n’ai pas compris le sens de ce court roman, à supposer qu’il y en ait un. Voilà donc un texte singulier qui me laisse un peu perplexe.

Quoi qu’il en soit, en ces temps perturbés par la distanciation et le confinement, il serait réconfortant de pouvoir, comme Sonietchka, traverser cette période sombre « en irradiant toujours du même bonheur résolument paisible et mystérieux ». Je ne doute pas que la lecture et les livres y contribuent. Joyeux Noël à toutes et tous !

Présentation par l’éditeur:

Depuis toujours, Sonia puise son bonheur dans la lecture et la solitude. C’est dans une bibliothèque que, à sa grande surprise, Robert, un peintre plus âgé qu’elle, qui a beaucoup voyagé en Europe et connu les camps, la demande en mariage. Avec Robert et, bientôt, leur fille Tania, Sonia n’est plus seule, elle lit moins, mais, malgré les difficultés matérielles de l’après-guerre, elle cultive toujours le même bonheur limpide, très légèrement distant et ironique. Des années plus tard, Tania introduit à la maison son amie polonaise Jasia, fille de déportés, mythomane, fantasque, aussi jolie que Tania est laide, et goûtant, comme elle, aux jeux amoureux. Jasia devient la maîtresse de Robert. Malgré son chagrin, Sonia est toujours heureuse. Robert meurt. Tania et Jasia s’en vont à leur tour, Sonia se retrouve seule, elle se remet à lire. Elle irradie toujours du même bonheur résolument paisible et mystérieux.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Jolie chronique.

    Peut-être faut-il voir dans ce roman les prémices de la cause féministe chez Oulitskaïa ? Cela aurait pu s’appeler « Sonietchka ou le sacrifice d’une vie » 😉😉😉

    Bien d’accord sur la note !

    • Oui c’est possible. Je n’ai rien lu d’autre d’Oulitskaïa jusqu’à présent 😉
      Merci pour votre commentaire! 🙂