jeudi , 25 juillet 2024

Texte-à-moi #8: Visages

Assise dans son fauteuil près du poêle à charbon, ma grand-mère tricote. La tête penchée sur ses mains qui actionnent les aiguilles, son regard est concentré sur le motif compliqué qui se construit maille après maille. Son visage est détendu, sa mâchoire relâchée, ses lèvres remuent en silence, je sais qu’elle compte les points, un à l’envers, un à l’endroit, etc… Un léger sourire de satisfaction fait peu à peu remonter les commissures de ses lèvres, à mesure qu’un petit lapin prend forme sur mon prochain pull.

Aujourd’hui, c’est son anniversaire. 80 ans. Toute la famille est là autour d’elle, jusqu’au dernier arrière-petit-fils, ils sont tous venus.
Pourtant elle ne semble pas joyeuse. Elle a l’air absent, ailleurs. Elle pense à l’absent, justement, celui qui n’est plus là et qui manque tellement. Un vide immense qui remplit sa vie à elle, qui l’oppresse et la submerge, la rend aveugle et sourde à ce qui l’entoure, ou presque.
Elle sursaute de temps à autre quand un gamin crie ou quand une cousine éclate de rire. Alors elle tente un sourire, qui ne parvient jamais à monter jusqu’à ses yeux.

Quand ils ont ramené mon grand-père de l’usine, sur une civière, en train de mourir d’une crise cardiaque, elle s’est figée. Comme un film soudain mis sur pause, tout s’est arrêté. Son corps, et tout ce qu’il contenait, son coeur, son cerveau, ses cordes vocales, le sang et l’oxygène. Ses yeux écarquillés ne décollaient pas du brancard, sa main serrée sur sa gorge, sa bouche ouverte comme si elle allait crier, même les larmes étaient paralysées au bord de ses paupières.

Elle est en colère. Elle hurle sur ce chauffard qui a failli écraser sa petite-fille sous ses yeux. Regard noir, joues écarlates, rides plus creusées que d’habitude. La voix forte mais tremblante, des larmes au bord des yeux, de la colère ou de la peur, allez savoir.

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