jeudi , 21 novembre 2024

Une vie pleine de sens

Auteur: Pablo Casacuberta

Editeur: Métailié – 30 août 2024 (336 pages)

Lu en août 2024

Mon avis: David Badenbauer est un chercheur en neurosciences qui, depuis 30 ans, se consacre à l’étude des mécanismes biochimiques de la synapse. Si la communication inter-neuronale n’a guère de secrets pour lui, il en va autrement des interactions humaines, qui relèvent pour David du plus grand mystère.

Fils unique, orphelin à 18 ans, David est un solitaire qui a grandi entre des parents juifs orthodoxes fermés au monde. Quant à lui résolument athée, David s’est lancé dans un cursus et une carrière universitaires, sans réelle passion pour son domaine mais animé par le besoin de prouver post-mortem à ses parents qu’il était capable de réussir quelque chose. C’est ainsi qu’il obtient un diplôme, un travail et publie même un livre, mais tout cela sans gloire et avec beaucoup d’efforts. De la même manière, il réussit à se marier avec Deborah et à avoir un fils, Aaron, mais il doit se coltiner un beau-père possessif, tyrannique, arrogant, odieux, imbuvable, et plein aux as.

Et ce qui devait arriver arriva, lentement mais sûrement : influencée par son père, Deborah finit par demander le divorce d’avec son bon-à-rien de mari après une vingtaine d’années de mariage. David se fait plumer comme un poulet, privé de maison, de famille, d’argent et bientôt de travail.

Dans cette dèche sans fond, un miracle, ou presque : son éditeur lui demande d’être le prête-plume pour un livre de développement personnel, un projet qui devrait lui rapporter une fortune.

Il y a beaucoup d’ironie et d’auto-dérision dans cette histoire narrée par ce pauvre bougre de David, et le début du roman est assez jouissif. Mais malheureusement pour lui et pour le lecteur, la vie de David est tout sauf palpitante, et si son cerveau mouline beaucoup, j’ai eu du mal à m’intéresser à ses élucubrations scientifiques et existentielles tortueuses et torturées. Prototype du anti-héros timoré, indécis et frustré, il se fait rejeter de toutes parts mais ne fait pas grand-chose pour inverser la tendance, ou alors avec tant de maladresse que c’est contre-productif.

Et que le personnage d’un roman ne soit pas attachant ne serait pas un drame, si j’avais compris ce que l’auteur cherchait à dire à travers lui. Pour David, le développement personnel semble être à la fois le but (trouver un sens à sa vie) et le moyen (écrire le livre lui permettra peut-être d’y arriver), mais au final cette démarche ne sera qu’une imposture cupide et commerciale, dépourvue de toute authenticité.

Avec ce titre ironique, ce roman semble donc s’attaquer à l’injonction au Bonheur et au Bien-Être qui dégouline de bibliothèques entières consacrées au Développement Personnel, cette religion moderne. Mais je ne suis pas sûre du sens de ce livre (ni de celui de la vie, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire).

En partenariat avec les Editions Métailié.

Présentation par l’éditeur:

David Badenbauer est un neurophysiologiste qui étudie la façon dont la communication se fait entre les synapses, et comment les cellules doivent pouvoir s’ouvrir un peu pour accueillir les informations et rester en vie.
Incurable sceptique, David parcourt un chemin accidenté de gaffes et de maladresses. Cet homme frustré se voit privé de tout, par une hostilité qu’il attribue toujours aux autres, et pratique une fuite en avant désespérée. Pour s’échapper, il a recours à une auto-ironie cruelle.

David, l’orphelin, va être expulsé de la vie qu’il s’est construite le jour où il préfère partir à Berlin pour voir son éditeur que d’assister à l’inauguration d’une exposition d’aquarelles de l’école de son fils. À son retour il retrouve la maison fermée, son compte en banque vidé, sa femme et son fils installés chez le père de cette dernière, un psychanalyste pompeux qui le déteste, et il va subir un grand divorce à l’ancienne. Mis sur la paille, il survit dans un local de stockage grâce à la bonté du propriétaire des lieux et à la bienveillance d’un rabbin qui lui apprend à perdre.
Il devra beaucoup changer pour pouvoir sortir de l’ornière économique et faire taire tous ses préjugés pour écrire un livre de commande de développement personnel très particulier. Mais tous les livres sont des livres de développement personnel, dit l’un des personnages de ce roman délirant.
Un miracle d’humour et de dérision !
Un auteur dont les livres ne vous quittent plus.

PS : Coup du hasard, au moment de la sortie de ce roman en Amérique latine, le Nobel de médecine a été décerné à une équipe qui travaillait sur ce même thème de l’ouverture des cellules dans la synapse.

Quelques citations:

– La plupart des soirées, ma plus grande aspiration était de m’asseoir dans un fauteuil, le regard dans le vague, et je découvris bientôt qu’écrire c’était peut-être cela: habiter ce regard absent et le parcourir. Observer nos propres choses avec la curiosité que l’on a pour celles qui nous sont étrangères. Occuper un territoire qui ne se trouve nulle part et dont on est le seul témoin de la nombreuse population imaginaire.

– Bien des années auparavant, Deborah avait entamé le processus amer que j’avais vu de loin affecter d’autres mères d’adolescents. Je veux dire ce type de métamorphose que j’appellerais « madamisation », par lequel peu à peu les femmes commencent à moins se soucier de leur apparence physique et de leur pouvoir de séduction au bénéfice de l’affirmation de leur statut de « madame ». C’est une sorte de rite de passage tardif et public, un corrélat de cette transition initiatique traversée par les enfants à l’entrée dans l’adolescence, mais qui dans le cas des mères, au lieu de marquer l’accès à la vie adulte, officialise aux yeux du monde la lente mais inexorable cessation de leurs relations amoureuses.

– Aujourd’hui les gens consomment des idées avec le même esprit qu’ils achètent de l’électroménager ou des produits d’entretien! Nous mettons à profit ce qui nous sert rapidement et sans réfléchir longuement, car tout individu pratique sait que ce modèle de consommation, au-delà de la légèreté et du caractère éphémère qu’il peut montrer au premier coup d’œil, est mieux que rien.

– Nous entrevoyons à peine ce que nous sommes. Il n’y a pas un être humain qui puisse se permettre un véritable contact avec l’étendue entière de sa vie mentale, s’asseoir sur une chaise, procéder à une introspection profonde et simplement se connaître. Et la raison pour laquelle c’est impossible ne tient pas à notre lâcheté, à notre incohérence ou à notre fausseté, même si nous participons de ces trois catégories, mais parce que nous manquons de l’organe pour cela. Le cerveau, ce noeud impénétrable, n’est pas un système qui a évolué selon l’impératif de se comprendre soi-même ou de permettre à son propriétaire de se rendre intelligible aux autres. […] Mais quand on a passé une vie entière à essayer de comprendre le labyrinthe que constitue un seul neurone, même pris isolément, en faisant abstraction de ses dix mille connexions possibles, on sait qu’il n’est pas possible de saisir la mélodie que génèrent quatre-vingt-six millions de ces citadelles qui chantent à l’unisson. […] Ce postulat fondamental du droit, l’idée que nous savons ce qui nous motive, est tout simplement illusoire. […] Personne n’a la moindre idée de ses mobiles profonds ni n’entrevoit l’origine lointaine de ce qu’il pense.

Evaluation :

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