Auteur: Ludmila Oulitskaïa
Editeur: Gallimard – 2021 (144 pages)
Lu en novembre 2021
Mon avis: Écrit en 1988, publié au printemps 2021, ce texte (document romancé ou roman documentaire) relate l’histoire d’une épidémie de peste pulmonaire (« taux de létalité : 100% ») qui s’est déclarée en URSS en 1939.
Déclenchée accidentellement dans un laboratoire à 800km de Moscou, elle est propagée par Mayer, le biologiste responsable dudit labo, à son insu puisqu’il est encore asymptomatique, alors qu’il se rend en train à la capitale pour y présenter un compte-rendu de ses recherches devant une quelconque commission médicale.
Lorsque les symptômes apparaissent et que le diagnostic ne fait plus de doute, il est hospitalisé et placé à l’isolement. Et la machine sanitaro-sécuritaire soviétique de se mettre en marche avec une redoutable efficacité : identification et mise en quarantaine des personnes qui ont été en contact avec Mayer sur tout son itinéraire; en 48 heures, 83 personnes sont extraites manu militari de chez elles, sans qu’on leur dise de quoi il retourne, et isolées de force à l’hôpital pendant plusieurs jours. Vu le contexte de l’époque, certaines de ces personnes ont cru être arrêtées dans le cadre d’une énième purge stalinienne. Mais au final, il s’avérera que « ce n’était que la peste »…
L’écriture est sèche, clinique, mais pas dénuée d’ironie pour autant, comme l’illustre le titre. Évidemment le texte a une résonance saisissante en ces temps de coronavirus, et il ne manque pas de susciter la question : l’actuelle pandémie aurait-elle été mieux endiguée sous un régime totalitaire ?
Comme le souligne Ludmila Oulitskaïa dans sa postface, la peste pulmonaire de 1939 s’est greffée sur une autre peste, celle du totalitarisme et de la terreur d’État. Il est interpellant de constater que l’épidémie a été jugulée grâce au NKVD, et qu’il « s’agit sans doute du seul et unique cas dans toute son histoire où cette institution féroce et impitoyable a travaillé pour le bien de son peuple, et non dans le but de le terroriser et de l’anéantir ». Elle s’interroge encore « avec une acuité nouvelle : quel mal est le plus terrible – celui des cataclysmes naturels et des épidémies, ou celui qui est généré par l’homme ? »
L’auteure, biologiste de formation, conclut entre optimisme (« l’actuelle épidémie sera vaincue, d’abord parce que, en vertu de toutes les lois, la souche du virus doit perdre de sa force et la maladie va devenir moins dangereuse. Ensuite, parce que jamais encore aucune infection ne s’était heurtée à une science aussi puissante et réactive »), et espoir prudent : « Le monde change de façon imprévisible, et on voudrait espérer que cette nouvelle épreuve à laquelle est confrontée l’humanité ne va pas nous rendre plus fermés et plus égoïstes mais, au contraire, va nous faire prendre conscience que, dans ce monde qui ne fait désormais plus qu’un, s’il y a beaucoup trop d’agressivité, de haine et de cruauté, il n’y a en revanche pas assez de compassion et d’amour. Et cela dépend de nous ».
Un texte captivant et très intéressant. A lire et à réfléchir.
Présentation par l’éditeur:
Moscou, 1939. Le biologiste Rudolf Mayer a parcouru plus de huit cents kilomètres pour présenter aux autorités ses recherches sur une souche hautement virulente de la peste. Ce n’est qu’après cette réunion qu’il comprend qu’il a été contaminé, et que toutes les personnes qu’il a croisées peuvent l’être également. La police soviétique déploie alors un très efficace plan de mise en quarantaine. Mais en ces années de Grandes Purges, une mise à l’isolement ressemble à une arrestation politique, et les réactions des uns et des autres peuvent être surprenantes.
Dans ce texte datant de 1988, Ludmila Oulitskaïa donne à voir ce qui peut se passer lorsqu’une épidémie éclate au coeur d’un régime totalitaire. Découvert en Russie au printemps 2020, ce texte inédit, plein d’humour et d’humanisme, résonne singulièrement dans le contexte mondial de la pandémie de coronavirus.