jeudi , 21 novembre 2024

Ce qu’elles disent

Auteur: Miriam Toews

Editeur: Buchet-Chastel – 22 août 2019 (186 pages)

Lu en août 2019

Mon avis: Ce roman est inspiré d’un fait divers odieux et dramatique qui s’est déroulé dans une communauté mennonite* implantée en Bolivie. Entre 2005 et 2009, dans la colonie de Manitoba, de multiples viols et agressions sexuelles ont été commis, pendant la nuit, sur de femmes mennonites de 3 à 65 ans. Ces actes monstrueux ont d’abord été mis sur le compte de l’imagination des femmes, d’agressions par des fantômes ou des démons, avant qu’on ne découvre qu’ils avaient été perpétrés par huit hommes de la colonie, qui utilisaient un spray à la belladone pour anesthésier au préalable leurs victimes. Ces hommes ont par la suite été condamnés et emprisonnés.

Le récit (romancé) prend pour point de départ l’idée que les coupables sont en voie d’être libérés sous caution et de revenir à la colonie. Huit des femmes victimes d’agressions se réunissent alors à la hâte en une sorte de conseil pour décider de ce qu’elles vont faire face à ce retour annoncé. Trois possibilités : ne rien faire ; partir vers l’inconnu ; rester pour affronter leurs agresseurs. Leurs discussions sont retranscrites par August, le jeune instituteur de la colonie. Houleux, orageux, ces débats sont difficiles et les enjeux et implications de chaque option sont fondamentaux, dans un contexte où les femmes sont analphabètes et ne connaissent strictement rien du monde extérieur, et où elles sont depuis toujours enfermées dans le carcan du patriarcat et de la religion, au point que c’est une révolution pour elles d’imaginer une société où « les femmes seront autorisées à penser« , où « les filles apprendront à lire et écrire« . Tout aussi hallucinant d’observer que, dans la mentalité de ces hommes, les femmes sont, quoi qu’il arrive, coupables de quelque chose, alors qu’en toute objectivité, elles sont les victimes pures et simples de ces monstres : « si, en effet, les agresseurs n’avaient pas été conduits en ville et que les autres hommes ne les y avaient pas suivis pour payer leur caution et obtenir qu’ils reviennent dans la colonie, où ils seront en mesure de recevoir le pardon de leurs victimes et obtenir qu’elles soient pardonnées à leur tour par Dieu, ces femmes ne se seraient pas réunies« . Certaines se révoltent : « Nous n’avons pas à obtenir le pardon des hommes de Dieu, crie-t-elle, quand nous ne cherchons qu’à protéger nos enfants contre la dépravation d’hommes brutaux qui, souvent, sont ceux-là mêmes à qui nous devons demander d’être pardonnées. Si Dieu est un Dieu aimant, Il nous pardonnera Lui-même. Si Dieu est un Dieu vengeur, Il nous a créées à Son image. Si Dieu est tout-puissant, pourquoi n’a-t-Il pas protégé les filles et les femmes de Molotschna ? »
A côté de la mise en lumière de ces événements et de la condition (révoltante) de ces femmes, le récit pose beaucoup de questions philosophico-religieuses intéressantes sur le pardon, la vengeance, la foi. Il interroge aussi la vie quasi-autarcique des mennonites : « A Molotschna, la chance n’existe pas. Il est péché d’y croire. Il est honteux de pleurer. Comme tout est voulu par Dieu, rien, dans Sa création, n’est laissé au hasard. Si Dieu a créé le monde, pourquoi ne voulons-nous pas y vivre ? »
Un livre très riche, mais dont la lecture est parfois pénible : la retranscription des discussions des femmes, telle qu’elle se déroule à l’oral avec des arguments qui fusent en tous sens, donne par moment une impression de décousu, voire de cacophonie. Quant aux digressions larmoyantes d’August, elles contrastent certes avec la combativité des femmes, mais je n’en ai pas vu l’intérêt pour l’histoire. Au final, « Ce qu’elles disent » est un récit un peu froid et répétitif, original et intéressant, qui rappelle que la religion a souvent bien peu d’égards envers les femmes.

En partenariat avec les Editions Buchet-Chastel via Netgalley.

*Le mennonisme est un mouvement chrétien anabaptiste (càd en faveur du baptême des enfants une fois atteint l’âge de raison, et non dès la naissance), issu de la Réforme protestante. Les mennonites sont fondamentalement pacifistes et, en dans les colonies boliviennes à tout le moins, rejettent toute modernité, vivent essentiellement de l’agriculture et n’ont de contacts avec le « monde extérieur » que pour l’achat de matières premières et la vente de leurs récoltes (Wikipédia).

#CeQuellesDisent #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

Colonie mennonite de Molotschna, 2009.
Alors que les hommes sont partis à la ville, huit femmes – grands-mères, mères et jeunes filles – tiennent une réunion secrète dans un grenier à foin. Depuis quatre ans, nombre d’entre elles sont retrouvées, à l’aube, inconscientes, rouées de coups et violées. Pour ces chrétiens baptistes qui vivent coupés du monde, l’explication est évidente, c’est le diable qui est à l’œuvre. Mais les femmes, elles, le savent : elles sont victimes de la folie des hommes. Elles ont quarante-huit heures pour reprendre leur destin en main. Quarante-huit heures pour parler de ce qu’elles ont vécu, et de ce qu’elles veulent désormais vivre. Analphabètes, elles parlent un obscur dialecte, et ignorent tout du monde extérieur.
Pourtant, au fil des pages de ce roman qui retranscrit les minutes de leur assemblée, leurs questions, leur rage, leurs aspirations se révèlent être celles de toutes les femmes.
Inspiré d’un fait divers réel, Ce qu’elles disent est un roman éblouissant sur la possibilité pour les femmes de s’affranchir ensemble de ce qui les entrave.

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Encore une fois la condition féminine et la place des femmes mises à mal… Si seulement les nombreux romans sur ce thème pouvaient faire évoluer les regards !