jeudi , 28 novembre 2024

Du pain sur la table de l’oncle Milad

Auteur: Mohammed Alnaas

Editeur: Le Bruit du Monde – 2 mai 2024 (368 pages)

Lu en novembre 2024

Mon avis: Selon un proverbe libyen, « une famille avec un oncle Milad » est une famille qui compte parmi ses membres un homme qui ne contrôle pas suffisamment les femmes dont il a la responsabilité, et qui, de la sorte, nuit à leur honneur.

Milad, personnage principal et narrateur du présent roman, appartient bien malgré lui à cette catégorie d’hommes « faibles ».

Bien que son père l’ait éduqué pour qu’il devienne un homme (un vrai); malgré le fait que, plus tard, il ait subi lors de son service militaire tous les tourments qu’un chef vicieux puisse infliger à ses subordonnés, et malgré les conseils de son meilleur ami, Milad n’est jamais parvenu à se comporter aussi virilement que l’exige la société patriarcale dans laquelle il vit.

Sans être homosexuel, Milad porte en lui une part de féminité qui l’encombre. Peut-être parce qu’il est le seul garçon au milieu de quatre sœurs qui l’ont toujours pris comme confident, peut-être parce qu’il leur a tressé les cheveux et préparé leur baume dépilatoire quand il était adolescent. Peut-être aussi parce Milad a toujours pris du plaisir à s’occuper des tâches ménagères, de la cuisine à la lessive. Ou parce qu’il a épousé une femme émancipée, insoumise aux traditions. Et peut-être, enfin, parce que – le comble – ils n’arrivent pas à avoir un enfant.

Milad, bon comme le pain que son père boulanger lui a appris à pétrir, souffre de cette image d’homme qui ne porte pas la culotte dans son couple et dans sa famille.

Le pain est d’ailleurs le fil conducteur de ce récit, présent tout au long de la vie de Milad, de son enfance à sa rencontre avec « Madame », femme fatale à qui il apprend l’art de la boulangerie.

Sans réelle chronologie et tout en digressions, Milad nous raconte sa vie, tendue entre moments idylliques et tourments existentiels, entre envie d’être soi-même et pression sociale. Une tension permanente, qui implose en fin de roman, une fin inattendue mais pas si surprenante, tout compte fait. Et, à rebours, on s’interroge sur ce mystérieux interlocuteur auquel Milad s’est adressé tout au long du récit…

Ce roman nous entraîne dans la vie d’un homme « pas comme il faut » pendant les années Kadhafi. Filant la métaphore du pain, de la culture de la levure à la sortie du four, chaud et croustillant, en passant par le pétrissage de la pâte, un premier roman remarquable, sensuel, drôle, touchant, cruel, tragique.

Présentation par l’éditeur:

« … ne mélange pas directement la levure et le sel. Ces deux ingrédients sont comme les hommes et les femmes. »

Ce conseil, Milad le reçoit de son père, maître-boulanger, lorsque celui-ci décide que le moment est venu de partager avec son fils sa passion pour son métier. En même temps qu’il lui transmet son amour profond pour le pain, il lui enseigne aussi à être un homme.

À travers l’histoire de Milad qui vit un conflit perpétuel entre sa part naturelle de féminin et une virilité brutale imposée par son éducation et par la société, Mohammed Alnaas nous décrit les bouleversements économiques et sociaux de l’histoire de la Libye contemporaine, en particulier pendant les années Kadhafi. Dans une intrigue implacable qui se déploie à travers le récit que Milad fait de sa propre histoire, c’est un déplacement sensoriel, gustatif, musical, visuel et olfactif que vous vous apprêtez à vivre.

Du pain sur la table de l’oncle Milad est le premier roman détonnant de l’auteur libyen Mohammed Alnaas. Il a obtenu le prix international de la fiction arabe.

Une citation:

– Ce qu’elle ne comprend pas, c’est que toute ma vie j’ai entendu mes sœurs se plaindre d’avoir à porter le foulard, en particulier lorsqu’en été il les étouffait, alors qu’elles devaient déjà supporter des tenues peu confortables. Il me semblait évident que la solution était de ne pas en mettre, ou de le porter de façon à pouvoir respirer correctement et de manière à avoir moins chaud. Mon raisonnement les faisait rire, tandis que ma mère me regardait horrifiée.

Evaluation :

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