Auteur: Eshkol Nevo
Éditeur: Gallimard – 20 août 2020 (480 pages)
Lu en septembre 2020
Mon avis: Un titre annonciateur d’une fin, mais la fin de quoi ? Et s’agit-il d’un événement positif ou négatif ? La fin du bonheur, la fin d’une carrière d’écrivain, la fin de la tristesse avant un nouveau départ ?
Le narrateur écrit des livres depuis 20 ans. Des fictions. Du moins est-ce ce qu’il veut faire croire à ses lecteurs. Mais il n’est pas dupe, et son entourage non plus. Il sait qu’il est « devenu un menteur, un narrateur obsessionnel et un cannibale, tout ce [qu’il vit, il] le transforme en matériau » pour ses romans. Et cela ne le rend plus heureux, au point d’être dysthymique (trouble dépressif chronique, moins sévère que la dépression), et incapable d’écrire. Mais est-ce la seule cause de son mal-être ? Son couple va mal, sa fille aînée a décidé de partir en internat, son meilleur ami se meurt d’un cancer. Ce contexte cafardeux lui ôte toute inspiration, mais il s’accroche à une ultime tâche comme à une planche de salut : rédiger des réponses aux questions posées par des internautes. La banalité de ces questions pourrait faire craindre des alignements de platitudes, mais le narrateur prend à chaque fois la tangente et se sert des questions comme d’un prétexte à dire ce qui lui tient à cœur, sous forme de tranches autobiographiques en flash-back, et à amener, l’air de rien, une multitude de thèmes. L’amour, l’amitié, la paternité sont les plus récurrents, mais aussi les rêves de jeunesse usés par l’érosion du quotidien, les regrets et l’espoir, le métier d’écrivain (égratignant au passage les polars scandinaves), le monde de la publicité et celui de la politique, et, comme on est en Israël, les attentats, Tsahal et la colonisation des territoires palestiniens. Mais là où le texte est le plus captivant, c’est dans le jeu permanent entre réalité et fiction, dans lequel on se perd avec délices. Dans quelle mesure le narrateur est-il le double de l’auteur, dans quelle mesure le narrateur est-il sincère ? Faut-il le croire quand il dit : « Je mens toujours dans ce genre d’interviews, tu sais, je fournis des réponses d’écrivain. Cette fois, je me suis efforcé d’être sincère ou, du moins, de tendre à la sincérité, et il y a quelque chose de libérateur là-dedans« . Mais après tout, l’important n’est pas là mais dans le plaisir du lecteur (le mien en tout cas) à se laisser balader entre vérité et imagination.
Même s’il m’a moins émue que « Le cours du jeu est bouleversé« , ce roman rusé, drôle et touchant, savoureux et addictif, est un grand moment de lecture et de littérature, tant il est riche, profond, intelligent et sincère.
En partenariat avec les Editions Gallimard grâce à une opération Masse Critique de Babelio, que je remercie vivement !
Présentation par l’éditeur:
Un écrivain israélien à succès qui ressemble étrangement à l’auteur a accepté de répondre aux questions d’internautes sur ses livres. Chaque interrogation l’amène à s’ouvrir sur le couple qu’il forme avec Dikla, à avouer ses relations compliquées avec ses enfants ou encore à partager ses angoisses pour son meilleur ami, Ari, atteint d’un cancer. Sa vie tombe en ruine et ce questionnaire lui permet d’en parcourir les méandres, tissant la toile de sa propre histoire, au sein de laquelle il va et vient dans le temps, laissant progressivement apparaître les instants décisifs.
Dans ce roman tout en finesse, le narrateur livre, avec humour, une analyse désabusée de ce qu’il est et de son incorrigible besoin de transformer la réalité en fictions. En nous plongeant dans le quotidien de cet écrivain, Eshkol Nevo met en lumière des moments ordinaires qui nous touchent en plein cœur.
Une citation:
– A mes yeux, une conversation intime avec un être proche représente l’un des plus grands plaisirs que la vie nous réserve. Mais pour qu’une telle discussion remplisse ses promesses, il faut un partenaire qui sache à la fois écouter et se confesser. Qui sache se montrer franc sans être humiliant. Ni prévisible, ni menaçant. Et, bien sûr, il faut du temps. Que les deux interlocuteurs disposent de suffisamment de temps pour aller au fond des choses. Et un lieu. Qui permette à tout cela de se produire. Bref, il s’agit d’un pur miracle qui ne s’accomplit que rarement.