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Les heures rouges

Auteur: Leni Zumas

Editeur: Presses de la Cité – 16 août 2018 (408 pages)

Lu en juillet 2018

Mon avis: Newville, Oregon, bientôt. Les heures tournent, pour Roberta, Susan, Mattie et Gin, quatre femmes qui symbolisent chacune un combat contre les hommes et la société.
Roberta, « la biographe », est professeure d’histoire au lycée. 42 ans, célibataire, elle veut faire un bébé toute seule. Mais le 15 janvier, dans quelques semaines, dans quelques jours, la loi qui interdit la procréation médicalement assistée pour les femmes seules entrera en vigueur. Roberta espère de toutes ses tripes que sa dernière fécondation in vitro réussira.
Pour Susan, « l’épouse », les heures tournent tellement vite qu’elle peine à dégager du temps pour elle, entre ses deux enfants, son mari et la maison, pour lesquels elle a renoncé à une prometteuse carrière d’avocate. Face au temps qui passe, pendant lequel rien ne se passe, elle pense souvent à divorcer, ou à se jeter en voiture du haut de la falaise.
Mattie, « la fille », même pas 15 ans, une des meilleures élèves du lycée, rêve d’un avenir de grande scientifique. Qui pourrait bien être compromis par une grossesse accidentelle. Elle veut avorter. Mais le 15 janvier, dans quelques semaines, dans quelques jours, la loi qui interdit l’avortement entrera en vigueur. Même le Canada, qui a érigé un « mur rose » à sa frontière, refoule déjà les candidates américaines à l’IVG. Restent les cliniques clandestines. Le temps presse, Mattie est à plus de 12 semaines.
Et puis Gin, « la guérisseuse ». A 32 ans, elle vit depuis toujours en marge de la communauté, en véritable « femme des bois », que d’autres femmes viennent consulter discrètement pour soulager leurs maux. Dans ce village de pêcheurs à la mentalité superstitieuse et bornée, ce n’est qu’une question de temps avant qu’un procès pour sorcellerie soit ouvert contre Gin, dans cette bourgade proche de Salem (Oregon), cela ne s’invente pas…

« Les heures rouges » est une dystopie qui se déroule dans un avenir tellement proche que cela pourrait bien déjà être demain, et c’est très inquiétant. Au nom d’une loi proclamant que « chaque enfant a besoin d’un père et d’une mère », on interdit d’une part l’avortement, et d’autre part, la procréation assistée et l’adoption pour les femmes célibataires : « une fois l’avortement déclaré illégal, avaient annoncé les membres du Congrès, il y aurait plus de bébés susceptibles d’être adoptés. Interdire l’IVG ne causait de mal à personne, avaient-ils affirmé, parce que les gens qui avaient un utérus défectueux ou un sperme anormal pourraient simplement adopter tous ces bébés supplémentaires« .
Sous les auspices d’Eivor, exploratrice islandaise du 19ème siècle au destin tragique, les femmes de ce roman se débattent dans le carcan d’une société patriarcale et réactionnaire, dans laquelle les hommes brillent surtout par leur lâcheté et leur brutalité. On y trouve beaucoup de symboles, à commencer par la couleur et le dessin de la couverture. Du pourpre et du rouge, la couleur du sang et des violences faites à la liberté des femmes. Quant au dessin, pas besoin de vous en faire un…
Si les personnages de Roberta et Susan n’apparaissent pas toujours très sympathiques en raison de leurs frustrations qui virent à l’aigreur et à l’obsession, ceux de Mattie et de Gin sont beaucoup plus attachants. Mais les quatre sont désespérées, chacune à leur façon, et pour cela, touchantes. Leurs luttes qui s’entrecroisent et s’opposent les unes aux autres résonnent jusqu’à nous, remuant coeur, ventre et esprit.
Ce roman lucide, à la fois ironique et poétique, à l’écriture simple, cible clairement les dérives potentielles de l’Amérique de Trump. Pourvu que les heures des droits des femmes ne soient pas comptées…

En partenariat avec les éditions Presses de la Cité via Netgalley.

Présentation par l’éditeur:

États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Ro, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivør, exploratrice islandaise du XIXème. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture… Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes.

Quelques citations:

– Elle s’était réveillée un matin avec un président élu pour qui elle n’avait pas voté. Cet homme estimait que les femmes qui faisaient une fausse couche devaient payer l’enterrement des tissus foetaux, et pensait qu’un technicien de laboratoire qui lâchait accidentellement un embryon pendant le transfert in vitro était coupable d’homicide involontaire.

– La biographe se rappelle-t-elle avoir une première fois pensé ou décidé qu’elle voulait être la mère de quelqu’un? Le moment initial où elle a éprouvé le désir de sentir un bulbe de lichen grandir en elle pour jaillir ensuite sous une forme humaine? Ce désir est largement applaudi. Législateurs, tantes et publicitaires l’approuvent. Ce qui, à son avis, le rend un peu suspect.

– Accusations du monde:
13. Préférer sa propre compagnie est pathologique.
14. Les êtres humains sont destinés à vivre en société.
15. Pourquoi n’avez-vous pas consacré plus d’efforts à chercher un partenaire?
16. Les gens mariés vivent plus longtemps et en meilleure santé.
17. Vous pensez vraiment que quelqu’un va croire que la solitude vous rend heureuse?
18. C’est bizarre que vous ayez autant d’affinités avec les gardiens de phare. 

 

Evaluation :

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2 commentaires

  1. Je vais bientôt en commencer la lecture…