lundi , 20 mai 2024

La encomienda

Auteure: Margarita García Robayo

Editeur: Le Cherche Midi – 1er février 2024 (174 pages)

Lu en janvier 2024

Mon avis: La narratrice est une jeune Colombienne installée à Buenos Aires. Son travail, plus ou moins régulier, consiste à rédiger des textes pour une agence publicitaire. Par ailleurs, elle essaie aussi de constituer un dossier pour solliciter une bourse d’écriture aux Pays-Bas.
A 5000 km de son pays natal, elle garde le contact avec sa soeur, ou plutôt, c’est sa soeur qui fait en sorte de maintenir le lien, un peu artificiel : appels téléphoniques où des mots creux camouflent mal le fait qu’elles n’ont pas grand-chose à se dire ; colis (« encomiendas ») contenant de la nourriture et des dessins de ses neveux, qui arrivent avariée pour l’une, abîmés pour les autres.
La narratrice se laisse porter par un quotidien banal, entre les allées et venues de son petit ami, le petit garçon de l’étage du dessous qu’elle garde parfois le soir, la chatte Ágata qui erre dans l’immeuble, les voisins de palier qu’elle croise à peine et le concierge un peu intrusif. Ce train-train linéaire fait une brusque embardée lorsqu’elle reçoit un colis inhabituel et très lourd, et que par ailleurs, sa mère débarque à l’improviste.
L’air de rien, les failles de la narratrice se révèlent, ses rares certitudes sont ébranlées, ses relations avec son entourage se modifient peu à peu, des détails auparavant insignifiants se prêtent désormais à un questionnement infini…

Quel curieux roman. Je n’arrive pas à décider si ce que vit la narratrice est réel ou relève de l’onirisme. Quoi qu’il en soit, l’auteure a le sens des formules fulgurantes et un talent certain pour raconter l’intime et ses vacillements, pour exacerber le banal et le faire glisser imperceptiblement, jusqu’à toucher du doigt le réalisme magique.
Un roman tout en finesse et en introspection, sur les liens familiaux et les relations mère-fille, fait de lenteur et de mélancolie brumeuse.

En partenariat avec les Editions Le Cherche Midi via Netgalley.

#LaEncomienda #NetGalleyFrance

Présentation par l’éditeur:

Un texte tendre et mordant par l’une des voix essentielles de la narration latino-américaine actuelle.

À 5 000 kilomètres de son pays natal, la Colombie, une jeune femme qui travaille dans une agence de publicité de Buenos Aires tente d’obtenir une bourse d’écriture aux Pays-Bas. Elle échange régulièrement avec sa sœur qui lui envoie des encomiendas, des colis contenant de la nourriture, des dessins de ses neveux, et parfois une surprise, comme une vieille photo. Souvent, la nourriture arrive avariée et les dessins tachés.
Peu à peu, des événements et des personnages viennent révéler les fissures qui creusent le quotidien de la jeune femme : l’arrivée d’un colis énorme et difficile à ouvrir, un chat qui erre dans son immeuble, les voisins absents et ceux qui frappent à sa porte, les allées et venues de son petit ami, la réapparition de sa mère, une vagabonde… Soudain, tout vacille :  » Avec quelle rapidité se brise la coquille d’une routine. N’importe quelle routine, aussi solide soit-elle, peut être balayée par l’imprévu. « 

Margarita García Robayo entraîne le lecteur au cœur d’un labyrinthe d’incertitudes, de souvenirs et de peurs, dans un roman troublant qui évoque la solitude, la maternité et les liens familiaux.
Un livre d’une intensité contenue, illuminé par des images fugaces, qui confirme l’auteure comme l’une des voix essentielles de la narration latino-américaine actuelle.

Quelques citations: 

– Ma mère a un regard triste sans doute parce que le monde, aussi beau soit-il, ne lui suffit pas. Et ce creux qui est en elle – parce que le monde ne lui suffit pas, parce qu’il lui manque quelque chose que le monde ne pourra jamais lui donner – s’appelle de la tristesse. Je pense qu’elle dirait la même chose de l’amour. L’amour et la tristesse, quand ils sont aussi intenses, doivent s’éprouver à l’identique, dans les poumons.

– Ma tante disait que les maisons étaient comme les femmes: elles se mariaient belles et saines, mais ensuite on les utilisait, les enfants arrivaient et les esquintaient, les salissaient, les déglinguaient, sans possibilité de faire machine arrière.
Autrement dit: étrenner un corps ou une maison, c’est inaugurer sa détérioration.
La détérioration, me dis-je à présent, est le degré supérieur de la matière, car elle prouve que quelque chose en elle a fleuri. Seulement, ce qui a fructifié a aussi fini par pourrir.

– Quand quelqu’un cesse d’exister, il emporte une partie d’un autre, un bout de matière, du concret, pas seulement une accumulation de souvenirs. Et quand quelqu’un naît, il étrenne des traits anciens, vient avec le poids du passé qui sera toujours plus grand que son futur. C’est cela engendrer, se débarrasser d’un morceau de matière et d’histoire, le donner au monde pour qu’il ne pourrisse pas avec vous. Refuser de s’éteindre. La volonté de se perpétuer. Un désir mesquin et narcissique.

– J’aime le silence, mais ce n’est pas très amusant de le pratiquer seul. A deux, en revanche, il signifie plénitude. Et illusion de permanence. Mais il faut se méfier, parfois le silence est une manière de cacher la fragilité: se regarder pour avoir la confirmation d’un bonheur maculé de la peur que, si quelqu’un venait à le mentionner à voix haute, il ne se brise.

Evaluation :

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