dimanche , 15 septembre 2024

La famille

Auteure: Sara Mesa

Editeur: Grasset – 10 avril 2024 (272 pages)

Lu en août 2024

Mon avis: C’est l’histoire d’une famille composée de deux parents et de quatre enfants.
Ca commence mal en termes d’originalité ? Attendez un peu.
Dans le rôle des parents, on a « Père » et « Mère » (ça donne déjà le ton, hein?).
Et pour la fratrie, on a Damián, 15 ans, l’aîné en surpoids qui doit faire régime et du porte-à-porte dans le quartier pour récolter des fonds pour une œuvre de bienfaisance.
Rosa, qui fait semblant d’aimer l’astronomie.
Martina, qui n’a pas le droit de fermer son journal intime avec un cadenas et qui, accessoirement, n’est que la nièce de Père et Mère, que ceux-ci ont généreusement recueillie à la mort de sa mère, et qu’elle est priée d’appeler « papa » et « maman ».
Et Aquilino, le petit dernier, le plus futé qui a compris depuis longtemps que pour préserver un minimum de santé mentale dans cette famille, il faut jouer à « hypocrite, hypocrite et demi ».
Ah oui, et ne dites plus « famille », dites « Projet ».
Ce Projet, c’est l’idée, l’obsession du père qui, sous couvert de bienveillance et dans l’intérêt des enfants, les emmure dans une bulle idéale, fermée au monde, à sa modernité, ses plaisirs et ses libertés. Un huis-clos plombé par une morale rigide et des interdits absurdes : pas de télévision, pas de cadeaux d’anniversaire, pas de secrets, pas de bandes dessinées, pas de joie de vivre ni d’imagination, pas d’intimité ni de possibilité d’émancipation en dehors de ce cadre. Fervent adepte de Gandhi et de la non violence, le père, qui n’en est pas à une contradiction près, n’en inflige pas moins à sa femme et ses enfants une violence psychique étouffante, à coups de frustrations, d’humiliations et de condescendance. Chantre de la transparence, il crée pour sa famille un monde de faux-semblants en complet décalage avec la « vraie vie », un environnement malsain dont aucun des membres ne sortira indemne.
Quel adulte devient-on quand on a grandi dans le moule d’une famille toxique, sous l’emprise d’un père castrateur ?
Sara Mesa répond à cette question à travers quelques fragments de vie et quelques traits de personnalité des différents protagonistes, en y ajoutant le point de vue de quelques personnages extérieurs au Projet, pour accentuer encore le décalage de cet univers étriqué. Alternant les scènes d’enfance et d’âge adulte, elle montre le gâchis, les dégâts, différents pour chacun, d’une construction de soi dans la soumission : mal-être, solitude, comportements inadaptés. L’auteure s’y entend pour instiller le malaise, tout en flinguant un certain patriarcat obscurantiste, obsédé par le contrôle, éradiquant la notion de plaisir, et qui transforme la famille, et pour longtemps, en une prison mentale.
Un roman très fin, sombre, oppressant, triste, sur les thèmes de la transmission, de l’émancipation et la construction de soi.

Présentation par l’éditeur:

« Il n’y a pas de secrets dans cette famille ! » Sans tenir compte de l’avis de sa femme, un homme intransigeant élève leurs quatre enfants avec des valeurs laïques, en érigeant Gandhi comme modèle de rigueur morale. Malgré son apparence progressiste, cette famille de la classe moyenne n’est pourtant qu’un monde clos traversé de fissures.
Pour survivre aux humiliations, Martina, Damián, Rosa et Aquilino sont obligés de se soumettre aux règles paternelles, celles du « Projet ». Récemment adoptée, Martina, sommée d’appeler son oncle et sa tante « papa » et « maman », ne doit plus cadenasser son journal intime. Damián, adolescent en surpoids mis au régime, est obligé de participer aux collectes dans le quartier pour l’organisation caritative de son père. Rosa, désormais institutrice, comprend que l’origine de sa cleptomanie réside dans l’hypocrise de la transparence durant son enfance. Seul Aquilino, parvenu à faire changer ce prénom qui lui déplait, est assez rusé pour contourner l’autorité parentale. Mais si le fils cadet échappe à ce régime tyrannique, c’est en digne héritier, reproduisant inconsciemment les mêmes mécanismes de tromperie et de domination. Peut-on jamais échapper à sa famille ?
Avec une précision étourdissante, Sara Mesa étudie les ravages d’une éducation – de ses blessures latentes aux révoltes contre sa perversité. Conçu comme un collage où passé, présent et futur s’entremêlent, La famille est un grand roman sur la construction de l’identité ainsi que les formes contemporaines du patriarcat. Une plongée vertigineuse dans l’ambiguïté et les faux-semblants.

Evaluation :

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